mardi 10 septembre 2013

Year Zero

                                                                                                                                                                     Faire simple. C'est devenu le leitmotiv depuis que j'ai passé la barre fatidique des trente ans. En novembre dernier, j'ai passé quatre jours à me soûler, danser, faire des bêtises, pensant juste célébrer l'arrivée d'une nouvelle décennie. En repensant aux derniers mois, il est évident que j'ai bel et bien eu droit à ma crise de la trentaine. L'heure d'un bilan que je n'avais pas envie de faire, tenir les comptes, résumer ces trente années sur quelques lignes et aviser.

2013 est une année de deuil pour le moment. La mort des illusions, des idéaux. La fin des certitudes. Déménager une fois de plus, atterrir dans l'improbable maison de ville avec jardin dont tout trentenaire rêve sans savoir pourtant ce qu'il en ferait. Repenser à toutes ces moments amers où je me sentais prisonnière de Toulouse, et maintenant empiler les billets de train, savoir faire tenir ma vie dans une valise, et ne plus vraiment savoir où c'est, « chez moi ». Choisir de laisser filer, de lâcher prise, de dire au revoir à ce qui fait mal et handicape, préférer être dans un brouillard total où on avance pas à pas, plutôt que des situations parfaitement claires et douloureuses.

C'était à mourir de trouille, mais j'ai balancé à la poubelle tous mes joli préceptes. Et je n'ai jamais été aussi heureuse que depuis le jour de cet enterrement, le jour de mes trente ans. Rien de sensationnel où de fou pour les fêter, des films Z pendant Extrême Cinéma, une teuf marathon terminée à midi le lendemain, avec pour bande-son emblématique, les Misfits et leur « Project 1950 », ou comment pimper de vieux machins sentimentaux pour les rendre crades et délirants, avec le morceau suivant en fer de lance.



J'ai loupé Danzig au Hellfest, c'est Ghost qui ont pris leur place sur scène. Des mois qu'on me parlait d'eux, en superlatifs, il a fallu attendre le 24 juin à minuit pour que je prenne une gifle monumentale, tant musicale qu'humaine. Si un groupe est lui, emblématique de ma nouvelle façon d'aborder la vie, c'est Ghost. Ils sont tous planqués sous des masques, le chanteur est grimé en pape. Ils produisent un mélange de disco, de revival 70 et de black metal totalement lobotomisant, et quand ils nous l'ont livré sur la Mainstage, dans une brise glaciale sous la pleine lune, tout le festival a vibré l'unisson.




 J'émettais quelques réserves face à ces grandes communions, allant au Hellfest en totale anonyme, perdue dans une foule éructante, dépenaillée, follement drôle et chiant dans les bois. Autant les reportages signés M6 et les pétitions indignées qui suivent me font crever de rire, autant j'ai du mal à me définir comme faisant partie de la meute, et en communion avec toute autre chose qu'un bain moussant et un spliff quand la journée a été dure.

 Ghost nous a filé l'hostie et nous l'avons tous avalé sans discuter. Un problème technique les a interrompu pendant un quart d'heure, les musiciens ont repris leur set plus tard comme si de rien n'était, dans un calme glaçant. The show must go on, et Papa Emeritus II, gueule de goule affamée et humour dévastateur, n'avait qu'à lever un petit doigt en chantant pour qu'on soit tous hypnotisés. Les rumeurs vont bon train quand à l'identité des musiciens de Ghost. Il a été confirmé que Dave Grohl avait fait quelques concerts sous l'un des masques. On n'en sait pas plus. Je n'ai pas envie d'en savoir plus le moment. Comme dirait l'un des personnages de « Au matin tombe la brume », l'une des magnifiques nouvelles hors GOT de George R.R Martin, « des réponses, il leur faut tout le temps des réponses. Mais les questions sont tellement plus belles... »

Un des potes techniciens de ma radio toulousaine dirait qu'on comprend comment vivre à trente ans parce qu'on commence à sentir le goût de la terre dans sa bouche. Cruel mais lucide. Accepter à voix haute que sa propre mortalité est en fait une idée sur-chiante m'a demandé un effort dingue. Accepter de ne plus être une post-ado à qui on excuse tout, me rendre compte que non, je ne savais toujours pas ce qu'était une vie harmonieuse, ça a été vraiment violent. J'avais besoin d'un nouveau miroir. Quelque chose ou quelqu'un qui me montre ce que j'étais vraiment, et ce que je voulais sans me l'avouer.




J'étais passé par ce questionnement en rejoignant Opium du Peuple, c'est ce même questionnement qui m'a fait prendre conscience que la troupe allait en fait continuer sans moi. J'en parle brièvement ici parce que je ne peux pas faire l'impasse sur cette partie de ma vie. J'y ai mis tout ce que j'ai de meilleur, mon sens de la provoc à me montrer peu vêtue alors que je ne suis pas dans les canons de beauté de l'époque, dirons-nous. Avoir réussi à nous coller dans le Metaluna d'avril, mon envie de faire marrer les gens et de leur faire descendre des pintes. Avoir revisité "Poupée de cire, poupée de son" de France Gall et attendre qu'elle me descende dans la presse comme Jenifer, m'être un jour réveillée en sursaut dans le camion en bégayant putain les gars les gars mais oui de la cornemuse, les gars, il nous faut un morceau dans le style irish punk à la Dropkick Murphys et on le colle en fin de set et on les embarque tous et ça va être la guerre les gars. Guerre il y a eu, cornemuse il y a eu, et j'en serai toujours fière.Mais ODP c'est fini. Constance Chagasse c'est fini. Les tenues affriolantes sur scène et jouer la comédie, c'est fini. Exister autrement, bigre, il était temps.

Par une semaine ensoleillée de février, je suis allée me faire tatouer un énorme micro entouré d'un casque par le talentueux Mahell, histoire de valider une fois pour toutes cette autre partie de ma vie, la seule dont j'étais sûre que j'en serais éternellement fière. C'était le cadeau que je me faisais pour mes trente ans. Quelques jours après, lors d'une nuit glaciale, à dessiner des bites par désœuvrement sur une fenêtre embuée dans une teuf d'étudiants où ma coloc m'avait incrustée, le vrai cadeau est arrivé.

 La fête était naze jusque là, trente pioupious qui papotent poliment en écoutant de la folk anémique et de l'électro molle, la bière était tiède, ça sentait la Fleur de Pays et la quiche froide. Et puis j'ai tourné la tête vers la chaîne hi-fi, et j'y ai vu un géant châtain de quasiment deux mètres, aux yeux rigolards, qui a balancé, sans crier gare... un vieux Dropkick Murphys. Il s'est retourné vers moi, en m'adressant un clin d’œil alors que les furieux de Boston faisaient rugir guitares et cornemuse dans une fête où jusque là Lykke Li régnait en dame patronnesse.

J'aimais bien Lykke Li et sa mélancolie étudiée de, justement, post ado attardée qui se tatoue des triangles et cache ses vieux posters de Whitney Houston dans le grenier chez ses vieux. J'aimais bien cette vie où je me ramassais toute seule à la petite cuillère, haussant les épaules si la bière était tiède, si le film était nul, si le mec du moment était trouillard. Rien n'était trop grave, rien ne me faisait pleurer, ni vibrer ni vraiment rire, je mincissais à vue d’œil, je flottais dans mes fringues et ma vie. J'écoutais Lykke Li, quoi. Et d'un coup c'était terminé.



Je suis repartie de la fête une demi-heure après, le géant à mon bras. J'étais avec lui dans la fosse du Hellfest devant Ghost, notre première discussion était un débat enflammé sur le destin de Tyrion Lannister. On danse la polka, on se soûle à l'hypocras, on chante du Maiden, on a hurlé en choeur au ciné, d'adoration devant Pacific Rim et de mépris devant Man Of Steel. Être avec lui me rend plus douce, être sans lui, plus bagarreuse. Et je pourrais me faire un tatouage pour tout ce qu'on a déjà vécu ensemble, car même si on devait ne plus s'aimer un jour, tout ce qu'il m'a apporté, j'en resterai heureuse et fière, métamorphosée pour le meilleur. Je n'ai pas encore de maison bien à moi, je n'ai pas de bon gros contrat CDI juteux qui nique sa mère, je refuse de changer pour être sur le devant de la scène, j'ai attrapé autant de mecs que de Pokémon, j'adore Bon Jovi, Immortal et Rihanna, j'aime me servir de mon cerveau, et j'avais un cœur anesthésié. Et il est le premier et le seul à avoir eu la patience de m'accepter sans rien changer.

2013 année de deuils oui, et ce que j'ai enterré de plus important, c'est ma solitude.



               
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