mercredi 25 janvier 2012

Liberté et fin du monde.

 Une chambre d'hôtel à Pau, janvier 2012. J'attends que Julien Dinse et ses comparses de Freak AC sortent enfin leur dernier bébé, 2013, l'histoire brillante d'un français moyen dans une France à ras des pâquerettes, qui n'a pas besoin des Mayas et autres conneries alarmistes pour être devenue une zone de non-droit, où les délinquants sont maintenant ceux ont été élus démocratiquements, et où tout ce qu'il reste en temps de crise, c'est à dire le sexe, se trouve lui-même soumis à des restrictions qui feraient passer Hadopi pour un coup de règle sur des doigts gourds d'écolier morveux. Finalement, Julien remet les choses à leurs places, à une époque où on reboote des super héros à l'infini, où une mauvaise série est plus intéressante qu'un seul nouveau film, de part son teasing permanent: le seul truc qui fait tourner le monde comme il se doit, et engendre de bons scénarii, c'est bien le désir.

En attendant donc qu'ils se décident à balancer 2013 en ligne, j'ai eu tout le temps d'une balade en solo, d'un bain moussant en solo et de, bon, ok,  trois semaines maintenant, en solo, pour réfléchir à ce qu'était devenue ma vie.
L'inconvénient à être précaire, c'est d'être, donc, précaire. A moins de savoir exactement le planning de ses six prochains mois, on ne peut tirer aucun plan sur la comète. Il est même fortement déconseillé de commencer à rêver tant que l'encre sur le contrat du mois suivant n'est pas sèche. Petit calcul simple: 2,5 jours de congés par mois de cdd, un cdd de 6 mois,  les CDD ne prennent pas de vacances car ils sont là pour pallier au manque d'effectif titulaire, donc les congés sont payés, donc à la fin du cdd, deux semaine de salaire en plus sur la fiche de paye, comptée en carence par Pôle emploi le mois d'après si tu as choisi de ne pas bosser pendant un mois pour te reposer = le fruit de ton labeur, le truc qui te fait passer la pilule de mois entiers à travailler sans t'arrêter, tu l'oublies, il te servira à compenser l'argent de poche que te refilera Pôle le mois d'après . Celui que tu rêvais de passer les pieds dans l'eau sur une lointaine île grecque, comme le font des tas de gens pris en photo en contre plongée dans Cosmo, stetson Zara vissé au crâne, les narines dilatées d'orgueil sous un titre en vert fluo "Année sabbatique, ceux qui ont dit oui". Comment ils ont fait?

En réfléchissant un peu plus avant, je me rends compte que ces reportages ont peu à peu disparu de la presse à la con que j'affectionne, mais c'est juste parce que j'ai des meubles à caler dans mon appart en pente, hein. Disparu, donc, au profit d'autres intitulés par exemple "Micro-entreprise, ceux qui ont dit oui". Pas que nous, génération Y, voulions être précaires, cimer, mais on se fait à tout, on s'adapte.  C'est une génération entière qui change de priorités, et on en vient au principal avantage de ma situation pro actuelle.

 L'avantage principal de la précarité, c'est d'être libre. Un boulot en CDD et précaire, c'est un peu comme un plan cul, on se retient de vouloir trop y investir pour ne pas y laisser des plumes, on y est juste naturelle et heureuse d'en profiter, et le reste du temps on va se marrer ailleurs. Et qué sera, sera. On a un boss cool? Mazel tov. On a un affreux jojo despotique à la place? On n'aura pas à le supporter trente-cinq ans.

Dans mon métier, il nous faut voir les choses de façon encore plus légère, nous les précaires, les têtards de la grande maison ronde. On va là où le vent veut bien souffler. Et il faut impérativement le prendre comme un jeu. A l'heure où je publie ça, je n'écris qu'à 200 bornes de chez moi et je suis presque à la moitié de mon contrat en cours. Le jour où ça sera trois fois plus loin, dix fois plus longtemps, là on va rigoler comme il faut.De ma chambre d'hôtel au studio de la radio, il y a à peine cinq minutes de marche en ligne droite. Tout le reste autour apparaît d'abord comme flou, plus grand et imposant qu'il n'est, les rues ont des noms bizarres, la pluie y est plus drue, les magasins y ferment plus tôt. Et au fur et à mesure, la vision s'ajuste. On donne une chance à cette parenthése de vie. Quand je suis partie à Mont de Marsan pendant sept mois l'an dernier, les premiers jours sont passés en un éclair, puis je me suis installée dans un appart. A partir de ce moment-là, le vrai challenge a commencé. Il n'y avait RIEN à faire là-bas. Si ce n'est boire un rosé avec les autres précaires le soir, à la terrasse de la pizzeria à côté du taf.

C'était un vrai nettoyage à sec. La liberté est terrifiante. On apprend à la dompter, à être authentiquement curieux de cette nouvelle ville où on doit passer six mois, se forcer à y rester le week-end pour se sevrer un peu du quotidien, du giron aussi tendre que collant de notre appart officiel plein de reliques post-adolescentes. Un besoin de vide, de propre arrive, comme décrit dans un livre adorable de Dominique Loreau que j'avais commencé à mettre en pratique avant de partir: l'Art de la simplicité.  

Pendant les quatre premiers mois, volontairement, je ne suis pas revenue à Toulouse. J'aurais pu, peut-être dû, mais pas voulu.  Et j'ai eu le plus long rencard de ma vie, avec moi-même. Tout était devenu l'exact opposé de ma vie d'avant: du fric, un taf exigeant, un appart confortable et vide de toute déco, la solitude. Pour une durée limitée, mais pas vraiment définie.

Quand on ne peut pas jurer de l'endroit où on sera dans trois mois, quand on ne peut pas s'installer dans la routine, quand on est payée à être une meuf chouette avec une jolie voix et un peu de piquant, et dieu sait que c'est du boulot, on apprend vitesse grand V à aimer la liberté et l'instant présent. J'aime les quais de gare des petits matins glaciaux. J'aime écorcher les adresses que je prononce pour la première fois au chauffeur de taxi. J'aime me sentir dépassée devant un conducteur d'antenne que je peine à déchiffrer. J'aime la trouille monstre qui m'aggrippe avant de rencontrer un de mes boss, et la terreur pure de la première fois au mic sur une fréquence que je n'ai pas encore touchée, quand tout ton corps te remonte juste en haut de la gorge et que tu te maudis, un quart de seconde, de ne vouloir faire aucun autre métier que celui-ci. J'aime par dessus-tout l'idée que cette vie ne fait que commencer. A Mont de Marsan, je pensais souvent à La Poursuite du bonheur, de Douglas Kennedy, l'histoire d'une femme qui traverse le siècle portée par une histoire d'amour compliquée, et sa rage de ne pas en être l'esclave,  apprendre à ne plus croire aux contes de fées,  l'histoire donc, aussi, d'une indépendance sans compromis.

Cette peur est une vraie drogue, elle va de pair avec le statut précaire chez Radio France. Un jour peut-être, je serai titulaire. Et d'autres changements viendront avec ce statut, plus de douceur, de calme, la nécessité d'atterrir.
Mais d'ici là on sera largement en 2013, et il n'y aura toujours en fait qu'un seul truc qui fera tourner le monde.
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