mardi 14 février 2012

Run, baby, run.

Je bosse demain, tôt. Être sur le pont à sept heures et demie me fait bicher comme une voleuse d'aurore qui savoure les premiers rayons de jour avant tout le monde. J'ai passé une super semaine de vacances, j'ai guinché, fait l'idiote, résolu de me tirer avant mes trente ans du nid d'hirondelle glacial qui me sert d'appart, bref, que du constructif. En plus Christophe Senegas m'a fait un cadeau de dingues: en vous baladant sur ce blog, ça et là, vous le trouverez, via ses dessins insolents. Tout ça fonce et bouillonne, trace et tourbillonne...


Mais bien sûr, que j'allais écrire un truc pour la St Valentin.

Dans la Rome antique, le jour de la Saint-Valentin a longtemps été célébré comme étant la fête des célibataires et non des couples. Ce jour là, les filles jouaient à cache-cache avec les gonzes de leur village et dès qu'elle se faisaient pécho, aller simple pour le mariage, dans l'année, avec les gars qui les avaient débusquées. La Saint Valentin faisait partie des Lupercales, fêtes du renouveau, de la purification, et du début de toutes choses, on y prenait de belles mufflées et les toges volaient vite. (source: à peu près Wikipédia).

Non je ne dirai pas que tout se perd et qu'en ce temps-là c'était moins compliqué. No love, no problem? Non je ne le dirai pas. Mais je m'interroge.

Quand j'étais sur ma radio punk, un matin de St Valentin, j'ai débarqué dans le studio à dix heures du matin, pour finir une belle nuit blanche de bacchanale avec un petit dèj en compagnie des gaziers de Tinkièt. Bien sûr, ayant le sens du timing, il a fallu que je pousse la porte du studio au moment où ça a commencé à parler cul à l'antenne. Il manquait une sexologue à cette spéciale 14 février. Ils m'ont ouvert un micro, ces gros salauds, mise devant le fait accompli et m'ont demandé mon nom, cher docteur. "Constance Chagasse". C'est sorti plus spontanément qu'un tweet de Morano.

Je me suis souvenue plus tard qu'en plus d'être le prénom le plus culcul du monde, c'était aussi celui de Lady Chatterley. Hormis quelques passages d'un antisémitisme avéré, c'est un bouquin sympathique, racontant l'éveil à la sensualité d'une jeune dame dont le mari est devenu impuissant genre trois pages après le mariage. Constance s'alanguit au son des feuilles de mûrier ployant sous la pluie, s'alanguit à la verte senteur du gazon anglais poussant pas trop loin des mines de charbon dégueulasses de son richard de mec, Constance passe deux cent pages à s'alanguir tellement fort que tout le monde se demande si elle suit le régime Dukan.

Mais Constance ne lit pas encore Cosmo donc elle ne comprend pas de suite que ce qu'il lui faut, c'est un amant. Y'a bien le garde-chasse, Mellors, qui passe sa vie à arpenter le sous bois en bretelles avec un chien roux, pendant que Constance s'alanguit. Un jour, il lui montre des poussins à qui il a construit une petite cabane, et puis il la chope. Qui n'a jamais tenu un poussin dans ses mains, ne peut pas comprendre à quel point le cœur de Constance se fendille à ce moment-là, elle qui en plus, était déjà sacrément alanguie.

Après ils s'envoient en l'air grave, en se disant des trucs hyper cochons, et puis à la fin, Constance va voir son mari et lui dit "Cette vie m'alanguit. Je divorce".

Donc oui dommage pour les passages antisémites, Lady Chatterley, c'est Cosmopolitan en quinze fois plus long et sans interview de Mélanie Laurent, donc c'est cool, donc c'est ça qui a légitimement guidé mon esprit pour trouver le nom de la sexologue complètement frappée qui allait dès ce jour de St Valentin 2009, officier sur les ondes.

Je faisais tout en impro. La vie, c'est de l'impro. L'amour, le sexe, c'est la vie. Donc, impro obligatoire. J'écrivais mes thématiques une poignée d'heures avant, prenait de beaux copiés collés de questions sur Doctissimo, un shot de jack dans, et on y allait. Au début, ça s’appelait Radio Muqueuse, et mon propre père, dans un haussement d'épaules moins fataliste que provocateur, m'a soufflé que "A la Queue comme tout le monde" serait plus rigolo comme nom.
Et c'est là que je me suis rendue compte d'un truc intéressant. Tu peux lire trois tonnes de bouquins, avoir vu trois films par semaine pendant dix ans, citer au moins trois muses et quatre auteurs japonais sans te planter, mais le truc qui fait le plus réagir au monde, qui va t'assurer des auditeurs, des fidélités (AHA!) et de l'interactivité: c'est le cul, et l'amour, vite fait.

Je me souviens de cette première fois, ouvrir l'antenne avec Ice Cube et "Why we thugs", à répondre au premier courrier qui disait, en gros: "J'y crois plus, à tout ça, alors je me suis inscrite sur un site de rencontres et maintenant, à cause de tous ces nazebroques en chien qui me poursuivent, je suis devenue asociale. J'y crois plus DU TOUT. Ça se passe comment maintenant?"

J'avais conseillé à la nana d'affirmer sa différence, sortir du lot, même un peu brutalement. Je lui avais dit que la séduction était du théâtre, un rôle à tenir en ne tombant le masque que millimètre après millimètre. Je lui avais dit que l'amour était peut-être mort, mais qu'en Louisiane, on pouvait toujours faire la fête à un enterrement, qu'il ne restait que ça à faire. Puis je lui avais dédicacé un morceau de Ted Nugent et l'avait laissée là, en embrayant sur trois cent autres cas pratiques au fil des mois, freins qui claquent, pilules qui font grossir, triolisme par surprise, et le studio se remplissait de plus en plus à chaque édition, tout le monde voulait venir raconter des conneries, boire des coups et se moquer copieusement de nous-mêmes et des autres.

On a ri, putain, pendant cette année de chagasseries, qu'est-ce qu'on a rigolé. J'étais derrière la console à foutre des claques aux potards pour envoyer du Gojira, du Slayer, du Miss Kittin, du Seth Gueko à donf dans les enceintes, on buvait des silos de bière, on se payait des barres de rire, je tombais de mon tabouret toutes les dix minutes, à voir mes potes devenir complètement salaces avec panache et vocabulaire. Le 8 janvier 2010, on a fait la dernière, je le savais pas encore.

Allez, juste pour le souvenir, on peut en écouter un Worst Of ici.

Pour en revenir à la nana de mon tout premier courrier, je suis un peu au jus de ce qui lui est arrivé, après mes bons conseils.

Elle a eu un peu de mal, quand même. Elle s'est bien ramassée plusieurs fois. Et ça c'est cool, parce que ça veut dire qu'elle a pas lâché l'affaire. Elle évite de s'alanguir connement dans les pâquerettes à attendre que ça passe, à devenir trop vieille et trop aigrie pour aimer à nouveau un jour. Elle voit la vie comme une lupercale géante, et elle court vite, la gredine. Et elle pense pas qu'un mec l'attrapera.

Elle croit plutôt qu'à force de foncer, c'est elle qui va lui rentrer dedans par mégarde. Et ça, c'est pas Constance Chagasse qui l'aurait compris à l'époque.

Fêtez l'amour, car lui ne vous fêtera pas.
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