mercredi 3 décembre 2014

Pour qui sonne le glas

Au début des années 2000, quelques-uns de mes potes avaient un groupe de rock à Toulouse. Ca s’appelait Seaside, je les ai déjà évoqués il y a quelques temps, et pour une gamine, connaître un groupe c'était la grande aventure. On était une bande de potes soudée autour d'eux, ça a duré quelques années, jusqu'aux prémices de l'âge adulte, celui qui amène les questions qui fâchent et font prendre les premières décisions difficiles. Ce que je vais évoquer remonte à plus de dix ans maintenant, et si ma mémoire ne me joue pas des tours, mes potes de Seaside s'étaient réunis un soir pour mater "Some Kind Of Monster",le docu-thérapie de groupe de Metallica.

 De leur propre aveu, ils ont splitté quelques jours après.






Yohan aura sans doute du mal à me confirmer ça, officiant maintenant à la batterie de Cats On Trees, je ne pense pas qu'il aura le temps de lire ce post.  Peut-être JB, alias Marti, si tu passes par là garçon: légende urbaine que cette anecdote, ou bien la vision des Four Horsemen, méta-millionnaires, empereurs de la musique saturée, et pourtant incapables de passer le stade anal, vous avait-elle bel et bien convaincus à l'époque que faire de  la musique était un aller simple vers l'enfer?

On l'a rematé il y a peu. Mon homme a une certaine tendresse pour St Anger, l'album conçu pendant ce documentaire, je l'ai pour ma part toujours détesté. Manque d'empathie, il est vrai. Quand j'ai vu ce film il y a dix ans, les mecs de Metallica m'étaient apparus dans toute leur connerie, l'alcoolique, le control freak, l'autiste. Pas de quatrième puisque le déclencheur de la crise amenant "Some Kind Of Monster", c'est le départ de Jason, le bassiste, lassé de devoir s'excuser d'exister à la place de Cliff Burton.

Cliff Burton était LE bassiste de Metallica, et plus franchement, était aussi son âme. Metallica est devenu titanesque grâce à lui, et a payé le prix fort de ce succès: à quoi bon te rouler dans les billets et la dope si ton meilleur pote n'est pas là pour en profiter avec toi?

Ce qui est raconté dans Some Kind Of Monster, c'est la lassitude de ces gars de cinquante ans, à la tête d'un empire financier, se croyant obligés de rester ensemble, d'un pour la thune, jamais assez de thune, de deux, sans doute pour que Cliff Burton ne meure pas une deuxième fois. Je le comprends en l'écrivant. Comme quoi tu peux avoir touché les étoiles et ne toujours pas savoir lâcher prise.


Camille, avec Jamestown, vit ce moment intéressant de la carrière d'un groupe où tout est encore possible. Se planter, marcher, tout changer, ne toucher à rien, pas encore de réseau, peu de potes dans ce milieu,  ils ne font de la musique que pour la musique. Je reste marquée pour une discussion d'il y a quelques mois. Camille est punk. Bien plus punk que la plupart des grandes gueules à tatouages apparents que je connais. Je m'inquiétais des effets de son tic de scène favori, à savoir se jeter sans prévenir dans un public pas assez remuant à son goût, puisqu'il fait quand même quasi deux mètres et n'est pas taillé dans un bâton de sucette non plus.
Réponse parfaite, cinglante: "Je m'en fous. On s'en fout. On vend pas des churros, on fait du rock. C'est le public, pas nos CLIENTS."




Je l'ai vu faire exploser de rire son public, ce mec-là, je l'ai vu aussi envoyer chier les classiques relous trop pintés, en s'inquiétant peu qu'ils se tirent ou n'achètent pas le CD.  Il est chez lui sur scène, mais il ne joue jamais la comédie. Son maître à penser, c'est Devin Townsend.




En voilà un qui les mériterait, les millions de Metallica, tant la totalité de son oeuvre est sincère, sa créativité impossible à juguler. Quand Metallica accouche péniblement d'un St Anger, après la détox de James, Devin arrête de prendre les médicaments soignant son trouble bipolaire, précisément pour accoucher d'Alien, avec Strapping Young Lad. Devin Townsend est le Robin Williams du metal. Toujours la bonne vanne, le bon riff au bon moment, conscient d'être fragile, et se déversant sans fard dans ses compos. Punky Brüster, son gros glaviot parodique racontant le destin d'un groupe qui se vend et se pervertit pour le succès? Un des meilleurs albums de punk rock de l'histoire. Les femmes autour de lui? Anneke Van Giesbergen, ex-The Gathering, Dominique Persi de Stolen Babies, qu'il magnifie, à qui il confie des rôles et des lignes de chant sublimes

. Devin était un gamin taré, drogué, la fin de SYL, il l'a voulue pour s'occuper d'abord de lui,et de sa famille. Résultat?  il est maintenant quadra et papa, toujours aussi fou, il pète le feu et il fait deux fois plus de musique qu'avant.

L'avenir pour Metallica serait d'arrêter les frais. C'est pas grave les mecs. Lars tu n'as plus envie de jouer. Ca ne t'intéresse plus, je te vanne sur Facebook une fois par semaine en prétendant que le prix du billet pour le Hellfest a monté pour te payer des cours de batterie alors qu'au final vous n'y serez même pas, on va se taper Slipknot et Scorpions à la place,  Kirk, tu veux refaire des solos, fais donc mec, remonte un truc et sois le patron pour une fois.

 James, arrête, arrête, tonton, arrête avec ce groupe, arrête d'aller buter des ours pour compenser. Laisse partir Cliff. Lui t'aurait dit d'aller envoyer tout ça se faire foutre, et de faire de la country. Ou de ne plus rien faire si c’est ce que tu veux. Mais ça serait dommage. Tu ne dois rien à Cliff, ni à Metallica, ni à nous.

 On n'est pas tes clients.



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lundi 20 octobre 2014

Vingt ans de réflexion.

Ce que je préfère dans le fait de me lever à trois heures du matin pour aller travailler en ce moment, c'est l'impact de ce rythme de grande sportive sur ma sensibilité artistique. En me retrouvant, ce matin, à écouter France Gall et Moustaki dans le même quart d'heure, ça a fait boum dans mon cerveau: oui, les goûts évoluent en vieillissant. Quand je me mettrai à Zaz c'est qu'il sera aussi temps de me coller une curatelle et une pompe à diabète, ceci dit, c'est vrai, c'est un peu fou, de tous ces artistes que je croyais être partie pour aimer à la vie à la mort, ceux qui restent, mettons, vingt ans plus tard, ils ne sont pas légion.

Silverchair. Comme j'ai pu les aimer.


Vous vous rendez pas compte, comme c'était fou pour une gamine de treize ans, d'apprendre que de l'autre côté de la planète, des gosses, à peine de trois ans de plus, avaient fait un premier album en neuf jours, pétaient les charts et se faisaient couronner nouveaux monstres du rock aussie, derrière AC/DC et Midnight Oil. A cette époque, un album me coûtait trois semaines d'argent de poche, et j'étais persuadée qu'une basse était une guitare à quatre cordes. A moi la fange, à eux l'Olympe. 



J'étais tarée, folle d'amour de la bande à Daniel Johns. Plus précisément de Ben, le batteur, Ben Gillies follement sexy avec ses longs cheveux bruns et gras juste comme il fallait et ses quelques bubons d'acné le rendant si authentique. Le premier qui haussait les épaules en parlant d'eux, je l'empaillais.

Ça serait génial de vous retrouver mes journaux intimes de l'époque. Je ne les écrivais pas avec un bic six couleurs à encres parfumées et je n'ai jamais fait de petits cœurs sur mes i, mais le jour du concert de Silverchair au Bataclan en 1997, je suis à peu près sûre de trouver une entrée à cette même date: "Ils respirent le même air que moi, ils marchent sur le même sol, et j'ai pas le droit d'être à leur concert, je HAIS mes putains de parents, ils comprennent RIEN, le jour de mes dix-huit ans je me casse vivre à Paris, je serai journaliste dans Rock Sound et je ferai ce que je VEUX".Ce journal tenu sur quasiment cinq ans est, me concernant, le pire objet de chantage qui existe au monde. Si vous entendez parler d'un cas de combustion spontané à Toulouse dans quelques semaines, vous saurez: c'est que je viendrai de relire le récit de cette session d'Action ou Vérité de juin 1996 où j'ai eu droit à mon premier roulage de pelle avec Sebastien F., de la 3ème C, ceux qui avaient pas pris option latin mais qui étaient bons en sport. Sébastien, nous nous sommes compris: pendant que nous nous abreuvions mutuellement de nos baves , tu pensais certainement à Ophélie Winter, frémissant dans ton jogging à trois bandes et ton sweat-shirt Oxbow, moi, yeux clos, je t'ai transformé en Ben Gillies.



A cette époque, je croyais aussi que c'était cool de singer les garçons pour passer pour une fille originale et rebelle. Six mois plus tard, fin de la vague grunge, frémissement du style néo: Daniel Johns a commencé à changer de style, et de coiffure. Là aussi j'ai voulu suivre. Maman, si tu me lis, je sais que tu me lis: pour m'avoir empêchée, alors que j'avais un appareil dentaire et des lunettes, de me faire moi aussi des dreadlocks, je t'aime pour toute la vie.


Avec le recul, Silverchair, c'est pas bon. En écrivant cela, je viens de sacrifier mon moi adolescent. Sous tes yeux, ingrat public, je délivre enfin cette gosse blonde, aux joues roses et aux dents bardées de fil de fer, qui sentait son âme défaillir et sa puberté déferler tambour battant à la mention des petits australiens, à en éclater le rayon disque de la Fnac et une brassière Miss Helen par semaine. 

Daniel muait à moitié sur le premier album qui dégageait toutefois une colère intéressante. Ils se tapaient des trips inutiles au sithar sur le deuxième pour tenter de frôler du doigt le génie créatif du Zep, leurs idoles, sans comprendre que pour faire aussi bien que le Zep, il faut avoir déjà couché avec quelques filles. Entre temps j'avais couché avec quelques garçons,aux cheveux courts qui plus est, et Ben Gillies me semblait déjà moins irrésistible. Le troisième album était le pire: planqués sous trois tonnes d'orchestrations coûteuses, gisaient les lyrics les plus insipides et creux de toute leur carrière. Disparus les reliefs et bords tranchants de leur musique, pour toujours. Et à l'époque il ne fallait pas me parler de pop. Jamais.

 Alors j'en ai profité pour donner plus d'attention aux disques de hip-hop de mon mec de l'époque, soudain j'avais dix-huit ans, je n'étais pas montée à Paris, je n'étais certainement pas journaliste et pas prête d'y arriver, j'étais souvent en colère et j'ai tranquillement abandonné Silverchair.

Mais ils m'ont marquée à vie, ces trois petits australiens. Je ne pouvais certes pas me faire piercer le sourcil comme Daniel, mais je pouvais écouter ce qu'il avait à dire quand il arrêtait de se prendre pour Eddie Vedder.

Ils portaient des t-shirts de Primus, de Minor Threat? Ils parlaient de Get in the Van, d'Henry Rollins, de leur toute première répète où ils avaient bossé du Black Sabbath? Je suivais à la lettre ces indications occultes, celles qui allaient me rendre vraiment méga cool, et je passais tout mon argent de poche dans des cds et des livres qui allaient au final me marquer bien plus durablement que Silverchair.

J'ai eu des nouvelles de Ben Gillies. Il ressemble au fils caché de Danny Trejo et de Paul Rudd, ce qui non, n'est pas alléchant.Sa femme, médium de profession, du genre qui mime des guillemets avec ses doigts, est au casting d'une une émission de télé réalité australienne nommé "Real Housewives of Melbourne". Elle est toute en talons aiguilles, robes moulantes dorées,Majimèches, telle une Miss Cavaillon 1992. Ils s'exhibent régulièrement dans ce show, et viennent de créer une gamme de cocktails alcoolisés trop sucrés. Ben a le regard éteint. Il ne fait pas trop de musique. Il marne un peu. Pour être franche, il fait un peu beauf. Je n'écoute plus sa musique.


Mais en repensant à Silverchair, j'espère avoir une fille adolescente un jour. Ça sera à pleurer de rire.  
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mercredi 8 octobre 2014

L'âge d'or du grotesque

Il y a quelques mois, en contrat à Limoges, je rentrai quelque soirs de suite dans mon appart avec une certaine impatience, me lover dans une couverture, “Apparences” en main. Deux soirs pour être exacte. J'ai dévoré le livre de Gillian Flynn, un polar étourdissant, dont l'adaptation ciné est sortie aujourd'hui.




Je l'ai vu ce matin; c'est beau d'assister à une telle réunion de talents. En général le principe même de blockbuster, de supergroupe, de projet au casting de brutes, a tendance à me faire un peu rigoler. Le foie gras et le saumon ça bute, mais pas ensemble sur la même tartine.

Un couple se rencontre, s'aime aux premières secondes, de cet amour complice dont nous avons tous rêvé. Lui, c'est Nick, parfait guy next door, elle, c'est Amy, belle brillante et riche, ridiculisée par des parents l'ayant transformée en héroïne pour la littérature jeunesse. Lui, prêt à la sauver, elle, de sa super vie et à lui offrir une vraie vie en retour. Ils sont beaux, si bien assortis, marrants, on les adore. Jamais seuls à l'apéro, c'est ce couple invité à tous les mariages de l'année, ceux dont on espère en les fréquentant qu'un peu de leur grâce déteindra sur nous.

 Le couple affronte avec grâce toujours, toutes les étapes du mariage, puis toutes les scories d'une époque de crise, puis ils perdent leur boulot, quittent Manhattan pour le trou du cul du monde du Midwest, pour s'occuper de sa mère à lui, malade. Quelques soucis s'installent, ils s'aiment peut-être un peu moins, pas de quoi s'affoler. Mais pourtant, un matin, elle disparaît. Et ça sent fort le roussi pour lui.

L'amour, tiens.... Nous avons tous rêvé de cet amour qui nous transcende et nous révèle à nous-même, qui nous apprend qu'être imparfait est normal, et qu'on ne sera vraiment aimé qu'en l'admettant. C'est une saine leçon. Perso ça m'a rapporté un jules qui est encore et toujours là malgré mon tatouage de Star Wars et mes vieux cds de Limp Bizkit. Il est jeune et fauché, je le suis un peu moins. Nous avons eu notre lot de petits et gros, voire très gros problèmes. Mais nous ne jouons pas l'un avec l'autre. Interdit. On s'est vus chialer, hurler, exploser de colère, être tristes, paniqués, on se frite, on n'est pas d'accord, on trouve les compromis,on fait comme on peut. Ca c'est entre nous. Et en public, nous nous fichons un peu de la représentation sociale de notre couple, ce qui est sans doute une bonne chose, en tout cas, cela nous correspond. Nous ne sommes ni charmants ni sortables partout. Et nous n'avons aucune pression des autres, aucune attente sur nos épaules. Je suis beaucoup moins dans le rôle du clown de service, lui n'en a jamais rien eu à carrer. Pas de représentation. 

Apparences, ou Gone Girl au cinéma, c'est l'histoire d'un couple qui se prend soudain cette notion d'apparence en pleine poire. Le paraître, ce qu'on donne à voir de nous, dans notre couple, puis en public, et ce qu'en font les gens. Comment une histoire d'amour se retrouve sous les projecteurs, les actes et les personnalités de l'un et l'autre jugés et discutés par un pays tout entier, au fur et à mesure que les jours passent sans nouvelles d'Amy, mais avec un lot de révélations accablantes chaque jour au sujet de Nick.

 Il serait criminel de ma part de vous en dire plus sans spoiler comme une catin, mais je peux quand même vous dire ceci: vous allez remettre en perspective toutes les rumeurs qui vont ont régalés au comptoir, sur le Net, dans les téléphones arabes dont ont fait les frais toutes les petites gens que vous connaissez, après avoir vu ce film.


De très bonnes critiques de Gone Girl sont déjà parues sous des plumes plus intelligentes que la mienne, notamment le Monde.fr, parlant du discours politique de Fincher, qui effectivement, lamine sans complaisance la société américaine dans son ensemble via son film. Et tous ses personnages. La toy girl de service, c'était celle de Blurred Lines, de Robin Thicke. Les parents d'Amy? Pompeux et grotesques comme des télévangélistes. Tous à baffer, tous interprétant ces gens qui s’avilissent volontiers dès qu'une caméra se fixe sur eux. C'est à frémir et c'est pourtant notre quotidien.


J'ai subi plus qu'apprécié la confession de Valérie Trierweiler, lue parce que mes auditeurs la lisent aussi. Loin de moi l'idée de contester la légitimité de ce livre: le fond se comprend, la forme est juste assommante, voilà le seul reproche à lui faire. Loin de moi l'envie de plomber les mecs de Mastodon pour avoir fait twerker des meufs dans leur dernier clip: si, malgré leurs déclarations désolées, la manip consistait juste à les faire buzzer, ils restent dix mille fois moins injurieux envers les femmes que ce groupe de reprises vu au before du Hellfest, dont le chanteur avait soudain éructé au début de Girls, girls, girls: “allez les nanas là, on veut monter sur scène? on montre ses nichons, je veux des nichons!”

Reste qu'ils ont dû avoir des sueurs froides, Valérie, les pauvres barbus d'Atlanta, en se voyant ainsi dézingués. Quelle plaie, en 2014, que de devoir gérer et contrôler son image publique quand les tirs de scuds s'affichent en un quart de secondes sous une vidéo ou un article. De ne jamais avoir droit à l'erreur....

Gone Girl parle de notre obscénité, tout ce qu'on ferait pour avoir le contrôle de notre image, de ceux qui y arrivent, et ceux qui se plantent. Ce n'est pas la première fois que Fincher parle d'obscénité: son serial killer la pourfendait dans Se7en. Son Zuckerberg l'exploitait dans The Social Network. Là c'est plus simple encore.

Là, mes amis, nous avons droit à une partition jouée avec précision, intelligence et respect de l'oeuvre originale. Ducasse, le grand chef, après des années d'effets de manche et de poêlons, ne jure plus pour le dessert que par de simples figues à peine brossées de leur poussière, Fincher devient quant à lui un véritable Ducasse du cinéma: un scénario désossé de ses aparté, et les acteurs parfaits. Choisis avec cruauté tellement Ben Affleck est le bonhomme terre-à-terre et trop doux pour n'être pas un peu veule. Tellement Rosamund Pike, trop vite classée blonde polaire, incarne avec précision son personnage de femme à la dérive.


Ah vous voulez vous montrer? Vous voulez faire parler de vous à tout prix? Allez voir le dernier Fincher. Il vous rappellera de choisir soigneusement ceux à qui vous vous montrez sous votre vrai jour. Ou d'assumer d'être imparfait, mais dans l'obscurité seulement.
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mercredi 7 mai 2014

Hole in my soul

Salope. Junkie. Menteuse. Meurtrière. Imaginez donc entendre et lire ces mots-là à votre sujet depuis vingt ans. Demandez-vous quel impact ces mots, de simples mots, peuvent avoir sur un être humain, répétés comme une invocation diabolique, pendant vingt ans, sans discontinuer. Que pourrait-il se produire?

Courtney Love a très certainement de mauvais côtés au naturel, amplifiés par sa toxicomanie, certes, mais pas moins par la pression monstrueuse qu'elle subit depuis que Kurt Cobain a été retrouvé mort.

Ce jour de 1994, j'avais onze ans, et l'écran de télé reflétait quasi non stop un visage perdu, d'un blond angélique, celui d'un jeune homme qui venait de connaître une fin tragique dans sa maison de Seattle. Quelques mois après, mon parrain m'a offert In Utero, l'album testament d'un mec qui allait incontestablement mal. En vieillissant, en ayant le même âge que Kurt, puis en devenant plus âgée qu'il ne le serait jamais, c'est une certaine pitié qui a pris le dessus sur ma nostalgie de l'ère grunge: Kurt s'était foutu en l'air au sommet de la gloire et en étant un jeune papa.

C'est un point de vue éminemment personnel que j'exprime ici,mais parmi les choses qui valent la peine de s'accrocher à la vie, figurent l'art, les copains, le sexe, le gaspacho et les enfants. Une pitié immense, parfois mêlée de colère pour sa gamine orpheline avant même d'avoir pu profiter de son père, me prend quand je pense à Kurt Cobain. Et partout sur la planète,des gens qui aimaient Nirvana ont sûrement ressenti ce sentiment mitigé, mixé d'incompréhension, voire peut-être de mépris.

Quand on est face à un événement aussi injuste, le plus facile à faire c'est encore de trouver un coupable tout désigné, parce qu'admettre qu'une idole, un mec qui nous donnait le sentiment d'être moins seuls, puisse avoir des pieds d'argile et nous résumer brutalement, en un coup de fusil, à nos propres failles, c'est parfois trop difficile.

Quoi de plus évident que de s'en prendre à Courtney Love?

Courtney a passé toutes les années qui ont suivi à esquiver les balles, la presse, les fans, les accusations de meurtre. Ça ne pouvait être qu'elle, elle qui avait poussé Kurt à se tuer, elle qui avait chargé le fusil. La rumeur voulait que le couple soit au bord du divorce avant le suicide de Kurt. On retrouve des documents privés par-ci, des photos volées par-là. Le suicide de Kurt est le supplice de Sisyphe de Courney: jamais elle ne fera oublier ce drame. Il la suivra jusqu'à la fin de sa vie. A la moindre connerie, voire le moindre geste humain, c'est la mort de Kurt qui planera sur tout ce qu'elle dira, sortira, chantera, crachera. 


Sauf qu'elle n'a pas précisément eu l'attitude d'une veuve de marin. Elle a sorti "Live Through This", énorme album de Hole, quelques jours après la mort de Kurt. Elle a passé les dix années suivantes à travailler sa musique avec tous ses amants, Billy Corgan, Evan Dando. A suivi "Celebrity Skin", curieuse production aux arrangements naïfs,sucrés,mais dans lequel la hargne, l'amertume d'une veuve, transpirait non stop. Courtney avait enterré un mari, mais elle n'avait pas demandée à être ensevelie avec le pharaon. Elle avait choisi de rester debout, les narines pleines de coke, l'injure en permanence à la bouche, mais vivante, et bruyante, tellement bruyante. Et tellement en colère.

Je ne m'identifierai jamais à la Courtney qui blaste tout ce qui passe sur Twitter, celle qui n'a plus le droit d'approcher sa fille. Quand on y pense, elle se suicide elle aussi, mais différemment de Kurt: à petit feu, socialement, à la face du monde. Mais je garderai toujours le souvenir de la Courtney de mon adolescence: ces yeux de chat, cette voix de catin lettrée,cette certitude d'avoir une putain de place dans le monde et de la défendre coûte que coûte.   C'est après une interview dans Rock n' Folk en 1998 que je me suis mise à écouter Leonard Cohen, après qu'elle y ait exposé son amour profond pour cet autre sale gosse du rock n'roll. C'est grâce à Courtney que j'ai arrêté de complexer de mon manque d'argent face aux autres filles de mon lycée bourgeois,  que j'ai commencé à me pointer en cours avec des vestes en fausse fourrure, à passer l'épreuve de musique du bac avec une guitare électrique et à rire à gorge déployée des absurdités de l'adolescence.  Courtney est impossible à vivre, brutale, déchirée. Oui c'est une vraie salope. Elle ose s'attaquer à Dave Grohl, le si sympathique pote de Kurt, pour mieux le prendre dans ses bras devant les caméras pendant le concert hommage des vingt ans de la mort de Kurt. Personne n'était dupe de la manip, du plan com' derrière cette embrassade. Surtout pas Courtney, trop cynique pour ne pas retourner une situation de sur-exposition à son avantage: je sais que vous me regardez, je sais que vous savez que c'est du flan, vous savez que je m'en tape, et j'en tire de la force.

 Je me demande ce qui se passerait si jamais on apprenait que Dave Grohl, par sa qualité de simple être humain, est lui aussi pétri de défauts, et que Courtney ait des raisons privées mais légitimes de vouloir lui péter la gueule. Allez savoir. Puisque nombreux sont ceux qui s'érigent en juges du procès Courtney Love vs. le monde, autant que ledit procès soit équitable et bien mené. 


Malgré toutes les conneries qu'elle a pu faire ces dernières années, je persiste et je signe: j'admire Courtney Love. Si j'avais l'opportunité de lui tendre mon micro un jour, je sais que je m'exposerais à une possible incartade de sa part. Peu importe. Vous vouliez du rock n' roll, du grand spectacle, du sang? Courtney est là. Avec tout ce qu'elle veut dégobiller depuis vingt ans, depuis qu'elle se fait traiter de meurtrière tous les jours sans discontinuer. Ça foutrait la cervelle de n'importe qui en compote, même de la plus gentille et patiente des femmes. Qu'elle n'a jamais été et que personne n'a le droit de lui demander d'être. Elle est droguée, malade, mais elle n'a pas lâché la musique, ni la vie. Personne ne la contrôle, personne ne la tient en laisse, elle est sublimement seule. Et rien que pour ça, je la défendrai toujours.







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dimanche 10 novembre 2013

Into the Void

Un de mes principaux problèmes dans la vie de tous les jours, c'est de ne pas supporter le vide.

Je réfléchis comme je fume, à la chaîne, en retirant le plus grand plaisir des plus grosses flambées. Je suis en surchauffe permanente. Donner du sens à tout ce que j'apprend et tout ce que je fais, c'est vital pour moi. C'est dur parce qu'il m'est impossible de supporter le néant et la médiocrité trop longtemps, sans réagir violemment, regimber, voire être en rupture avec bon nombre de gens que je ne peux pas, au final, m'empêcher de juger.

Dans une semaine j'ai 31 ans. Et j'aurai la confirmation de que je pense depuis bientôt un an: ma crise de la trentaine consiste à accepter totalement qu'il y a des trucs chez moi, des traits de caractère, que je ne maîtrise pas, que je n'ai pas vus s'installer... et que je ne veux pourtant pas changer, jamais. L'intégrité n'a rien à voir avec le fait d'être pétri de vertus. C'est peut-être même d'être fait à 99% de défauts, et de ne pas lutter contre ça. J'aime pas le vide. J'aime pas les formules toutes faites. J'aime pas Nabilla, j'aime pas non plus les sociologues qui font des piges dans le Nouvel Obs sur le dos de Nabilla, j'aime pas les hipsters qui placent tellement au-dessus de Nabilla, j'aime pas qu'elle devienne une muse de couturier ou un objet de moqueries systématiques, tout simplement parce que pour moi, ce mécanisme d'adoration/répulsion pour une personne qui n'a rien fait, rien créé, suivi par des millions de gens, revient à alimenter le néant. Le néant et son pouvoir dévastateur. A croire que tous les mômes de ma génération en disant avoir eu peur devant l'Histoire Sans Fin, ont tous menti.

Le grand RIEN. Celui, béant, des programmes télé que je fais défiler lors des rares fois où j'allume le poste. Donc maintenant, on finance de la télé-réalité sur tous les sujets possibles? Excusez-moi, n'ayant rien suivi depuis 2007 pour cause de punk rock, je viens de découvrir toutes ces émissions pour trouver des apparts, pour apprendre à récurer une maison, pour devenir le meilleur pâtissier, ou ébéniste ou chauffeur de bus ou que sais-je encore. Ou celle qui envoie des ch'tis en Californie. A noter qu'on n'envoie pas encore des mecs de South Central à Lens. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte du choc que j'ai reçu, à voir débarquer Anémone dans un de ces programmes; Anémone, en train de chercher un appart pour son grand dadais de fils, baladant sa mauvaise humeur et un caniche nommé Turlutte devant les caméras de M6, le tout sur un morceau de Maroon 5. Je remercie le ciel que Desproges soit mort il y a longtemps. Face aux torrents de connerie validés chaque jour en télé, en presse et en radio, même lui n'aurait plus pu lutter.

Stephen King, dans le volume 2 de "Ca", présentait le personnage secondaire de Patrick Hockstetter, un gamin perturbé, future cible du clown tueur. L'esprit du petit Patrick était décrit comme "un désert glacé rempli de fumerolles". C'est là que j'atterris quand le néant se présente. Dans un désert glacé où j'entrevois la fin de tout ce qui est juste, sincère et intelligent. Selon mes critères. Et à bientôt trente et un ans, j'ai appris à les considérer comme très valables. En gros, ça y est, je deviens une vieille conne. Et c'est génial, que n'ai-je commencé plus tôt, on se le demande. Maréchal, nous voilà. Bring out the gran.

Dans mes résolutions de toute nouvelle vieille conne, j'ai décidé de ne plus lire MadMoizelle.com. Le webzine féminin jusque là frais et lol, savait proposer des articles fins, qui remettaient en cause ma vision du monde, puisqu'on y parlait sociologie, féminisme, on y dézinguait les complexes et les idées reçues dans des dossiers et des témoignages parfois poignants. Puis MadMoizelle a passé la barre des cent milles pouces sur facebook, certaines plumes de la rédac se sont un peu désolidarisées du projet. Et là mon newsfeed a été inondé du jour au lendemain d'infos de chez MadMoizelle. Des promos sur des petites culottes en Lurex, des sites d'artistes qui redessinent les princesses Disneys en fringues 90'/break-coreuses/version mâle/pop culture, des articles ne se voulant pas sérieux mais devenant relayés et promotionnés jusqu'à la migraine oculaire. J'ai bien compris que l'article récent sur la typologie des différentes façons de pisser ne cherchait pas à décrocher le Pulitzer hein. Mais méritait-il donc d'être bastonné sur mon newsfeed pendant trois jours?

En parlant de matraquage médiatique, je suis allée voir La Vie d'Adèle sans tenir compte du charivari monstre à son sujet depuis cet été. Quand on est une nouvelle vieille conne, la première leçon qu'on retient, c'est qu'une mauvaise promotion reste de la promotion. Et qu'on ne soupçonne jamais assez jusqu'où les gens peuvent aller pour se faire mousser. Donc vaut mieux pas s'occuper de la communication autour de ce film, et y aller pour voir une histoire d'amour au cinéma.

C'est fait, donc la Vie d'Adèle est un film bancal, le personnage de Léa Seydoux n'a aucune substance, les dialogues sont à se taper la tête contre les murs, Adèle Exarchopoulos subit les assauts permanents d'un réalisateur fétichiste, plus préoccupé par les muqueuses de la petite que par le confort visuel du spectateur (même Gaspar Noé est moins maltraitant avec son public), et la scène de sexe, mon dieu. Une catastrophe. A voir Exarchopoulos et Seydoux enchaîner les fessées, feuille de rose et autres ciseaux, j'ai pensé à Spielberg, président du jury de Cannes ayant récompensé ce film nul, Spielberg qui aurait déclaré "c'est la plus belle histoire d'amour que j'ai jamais vu, je la montrerai à mes enfants". Steven, tes enfants, c'est nous, bordel, pourquoi tu nous fais ça. J'ai l'impression d'entendre un grand-oncle adoré se mettre à encenser le Front National pendant un repas du dimanche. Une histoire d'amour au ciné, c'est sur lécran entre ses personnages, et c'est aussi entre le film et ses spectateurs. Et moi je suis sortie de la Palme d'Or 2013 en la détestant cordialement, avec ses clichés puants, sa fracture sociale traitée comme dans un Onteniente, si ça, Steven, si c'est ça pour toi l'amour, moi je préfère l'abstinence.

Vide, néant grotesque, gênant, encore plus terrible est celui du quotidien, car pour une brève de comptoir, combien de platitudes, de banalités, quelle angoisse si commune et injuste que celle du silence. L'impardonnable phrase entendue dans la bouche d'un obscur confrère animateur radio: "boah, nous notre métier, c'est de parler pour ne rien dire". Mon cher je ne me souviens même plus de ton nom, étoile filante que tu étais, comme nous tous, CDD animateurs à Radio France, à passer quelques jours dans une station où j'officiais en même temps que toi. Mais où que tu soies, sache que je pense, chaque jour d'antenne, à ta maxime. Pour toujours veiller à faire le contraire.

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jeudi 10 octobre 2013

Season of the bitch


Il est important, essentiel pour une société, pour un être humain civilisé, d'avoir des rituels et de les respecter. Toute société harmonieuse l'est grâce au maintien en son sein de certaines formes de déviances. Je suis quelqu'un d'assez gentil et discipliné, qui paye des impôts, aime bien les vidéos de petits chats et pense parfois à trier ses ordures. Alors je m'accorde le droit d'écouter des groupes qui vénèrent Satan pour de faux, et de regarder des films et des séries parlant du Mal sous toutes ses formes.




 Le Mal m'intéresse. Quand on le tourne en dérision, quand on l'explique. Mais aussi quand il prend sa source dans les comportements les plus triviaux et banals, en tout un chacun, quand aucune force plus grande ne peut s'opposer à lui. C'est pour ça que j'aime American Horror Story. La troisième saison vient de débuter aux Etats-Unis, je sors à peine du visionnage du premier épisode.


En 2011 nous avions eu droit à une époustouflante histoire de fantômes, mal exploitée à certains égards, certes (un spectre de nourrisson vénère dans une cave qu'on voit à peine deux secondes, c'est du gâchis), mais dont la noirceur, la beauté graphique et l'implacabilité de ses scénaristes m'avaient propulsée au septième ciel. Il m'avait été difficile de digérer le bordel monstre que représentait la deuxième saison d'American Horror Story l'an dernier. J'avais suivi les treize épisodes de cette saison de façon désabusée, hyper enthousiaste au premier épisode, impatiente d'en finir dès la moitié de la saison. En matant Sharknado entre copains il y a peu, nous nous attendions à un pandémonium de dialogues à se pisser dessus, testostérone et faux raccords, tous les défauts qui font la différence entre un merveilleux nanar et un film simplement mauvais. Une tornade remplie de requins qui déferle sur la Californie? Mais bon dieu, même si Léa Seydoux et Louis Garrel avaient joué dedans, ça gardait une chance d'être le nanar de la décennie. Donc un des meilleurs films qui soit, selon mon échelle de valeurs. Nous nous sommes retrouvés devant un film idiot qui faisait l'erreur fatale de se prendre au sérieux. Trop propre. Un peu comme le Through the Never de Metallica que j'évoque sans même vouloir le mater parce que je sais déjà qu'il ne sera pas drôle. Alors que quatre gonzes qui sont devenus multi millionaires en chantant des horreurs sur la Bible, ya rien de plus drôle que ça. En théorie. Mais je sais déjà que ça sera une salade indigeste et pas scénarisée pour un sou, pourtant sur-produite, mais hyper frustrante au final. 

Bref la deuxième saison d'American Horror Story, c'était ça aussi: un parc d'attraction télévisuel autoproclamé, mêlant possession démoniaque, nazis, zombies, extra-terrestres, racisme, homophobie et hippies. Parfois un scénar c'est comme une bouffe, il vaut mieux une assiette de jambon-purée maison, préparée simplement avec attention et amour, qu'un monstre en sauce à huit mille couches de viandes sorti de chez Epic Meal Time.

Et là je crois, j'espère, je prie pour que ça soit bel et bien le cas pour cette nouvelle saison. Mais j'aime ce que j'ai vu à l'instant.

Evoquons quelques menus détails malins qui m'ont faite battre des mains: un clin d'oeil au Romeo + Juliet de Baz Lurhmann lors de la rencontre entre le couple d'amoureux de cette saison, un morceau d'Iron Butterfly sur une scène de meurtre, la présence de Gabourey Sidibe et Jamie Brewer en apprenties sorcières badass avec des pouvoirs bien guedins, alors qu'elles sont respectivement noire et obèse pour la première, et atteinte du syndrôme de Down pour la seconde. Manoeuvre de casting ultra démago? Peut-être. Perso je m'en fiche. C'est fini les sorcières Barbies à la Charmed, Dangereuse Alliance et autres horreurs aseptisées.

Et pour finir , abordons la présence d'Emma Roberts au casting de cette saison. L'actrice renommée « Nepotism Roberts » par la presse américaine se retrouve avec un rôle qui désamorce la polémique à son sujet. Emma Roberts a la réputation d'être une starlette dénuée de talent, aurait tabassé son mec (Evan Peters, présent dans la série), bref, la petite n'a pas été accueillie à bras ouverts par les fans d'AHS, cf. la page facebook officielle de la série. Emma Roberts hérite donc du rôle d'une... starlette à la ramasse, insupportable, incontrôlable, langue de vipère, mais qui dès le premier épisode, subit quelque chose de si horrifique qu'on passe en deux secondes du mépris à l'empathie pure pour son personnage. La manip est énorme, et très efficace. Venons-en maintenant aux gorgones de la série.

J'aime que le premier épisode s'ouvre sur une Kathy Bates monstrueuse, boursouflée, dans le rôle de Delphine LaLaurie, une serial killer et dame de la haute société de la Nouvelles Orléans au 19ème siècle. Kathy Bates sera toujours Annie Wilkes dans « Misery », en fait, incarnera toujours la folie la plus immonde, et là elle a dû s'amuser comme une petite folle. Elle est cruelle, assoiffée de sang, tabasse sa fille, torture ses esclaves, se badigeonne avec leurs organes pour tenter de conserver sa jeunesse éternellement.

En face, Jessica Lange, au début du 21ème siècle. Reine des sorcières, robe Versace noire, talons aiguilles, nez dans la cocaïne, désespérée voir une seule chose lui résister, malgré ses pouvoirs fabuleux et les milliards de son défunt mari: sa mortalité. Elle aussi. Et elle a, elle aussi, une relation bien pourrie avec sa fille. On n'en sait pas vraiment plus sur Angela Bassett, qui incarne Marie Laveau, reine du vaudou et contemporaine de LaLaurie au début de la série. D'emblée, cette trinité féminine séduit, intrigue, mais on se demande comment les scénaristes d'AHS vont manier ces trois harpies pour que la nouvelle saison ne sombre pas dans le grand-guignol une fois de plus. C'est ma principale inquiétude.

Cette quête de la fontaine de jouvence et de l'éternité est un thème qui me turlupine en ce moment. Il avait été très bien traité dans la « Comtesse », de Julie Delpy, que j'ai savouré récemment, un vrai petit bijou austère et déprimant à souhait. Mais je viens de trouver un article sur Regine-déco.fr qui me révèle que vu mes trente balais passés, j'ai déjà perdu 90% de mes ovules. J'ai moins kiffé. Souvent je pense à ce moment de ma vie, où, vieille, parcheminée, quand la peau sous mes bras fera flop-flop, je réaliserai que je n'ai pas fait un stage dive ou l'amour depuis vingt ans. Peut-être qu'à ce moment-là je n'en aurai plus rien à cirer, mais en octobre 2013, cette pensée me terrorise jusqu'aux os. Cette terreur est donc un moteur surpuissant. Assez pour donner corps et vie aux trois tarées d'American Horror Story Coven? Largement. Messieurs les scénaristes, ne me trahissez pas. Comprenez-moi dans mes peurs les plus intimes et exorcisez-les sur le petit écran. Je vous rejoins pour le sabbat hebdomadaire, en confiance, et avec un parfait amour.
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mercredi 9 octobre 2013

On a tous à y gagner.


En premier lieu, ne touchez pas au distributeur automatique de la Banque Postale de la rue du Taur. Plus jamais.

Ensuite voilà l'histoire. D'une trivialité affolante, mais là ça me fait plaisir de pouvoir au moins raconter cette petite heure de ma vie, vu que je ne la récupèrerai jamais.

Je me pointe aujourd'hui rue du Taur , à l'ESAV, pour assister à la projection du dernier court-métrage de mon cher et tendre, et pense aller retirer un peu de thune parce que les étudiants, ça boit des bières en terrasse sous n'importe quel prétexte, alors après une projection n'en parlons pas.
Guillerette, enfin, autant qu'on peut l'être en ayant déjà passé la journée à préparer assez de photocopies Pöle Emploi pour vider la forêt des Landes, à réclamer de l'argent bien mérité à un grand groupe de cinéma international qui serait sans doute plus prompt à payer le salaire de Léa Seydoux, et en ayant constaté de surcroît que même en ayant trois métiers à la fois, je ne pouvais toujours pas faire sourire mon banquier. Je ne me sentais pas trop mal, certes, mais peu confortable. Pas très trop insérée dans le système. A se sentir coupable de regarder d'autres vitrines que celles du supermarché.

Donc un peu distraitement, j'introduis ma carte bancaire dans ce distributeur, effectue une ou deux manips pour retirer un billet de vingt, et là, tout aussi, distraitement, nonchalemment même, l'écran m'indique que ma carte ne me sera pas restituée.

C'est cruel une machine. Dieu sait que je les aime, dieu sait que cet amour n'est souvent pas réciproque. Mais c'est une injustice dont je sais m'accommoder, dans l'humilité, dans l'effort, en me disant que toutes conneries confondues, la machine ne fait que ce que l'homme lui a dit de faire. Marvin, mon ordi, est au bout du rouleau, et je pense qu'il aurait pu tenir six ans de plus si entre ses touches, n'étaient pas coincé l'équivalent d'un paquet de clopes et d'un Best Of Royal Cheese. Si un ordi que je manipule se met à faire n'importe quoi, je m'accuse en premier. Mais là c'était hors de question.

Bien que mon compte en banque soit dans un état famélique, il restait assez d'argent dessus pour que je puisse tirer vingt dols. Aisément. Je n'étais pas non plus partie dans une rêverie impromptue qui aurait laissé ma carte plus de trente secondes dans un distributeur inactif. Résultat? Je me retrouvais sans carte bleue à cause d'une machine défectueuse, et ce n'était pas ma faute. Un gars s'est approché de moi pour me prévenir qu'il venait aussi de se faire bouffer sa carte, et d'autres personnes avant lui, là, la culpabilité m'a de nouveau assaillie, et j'ai cherché du regard le panneau placé en évidence, indiquant la panne dudit truc, qui m'aurait prouvé que oui, je me faisais vieille, que la cataracte frappait enfin, précédant le crépuscule, l'abandon de tous les êtres chers et le tic-tac aride d'un réveil posé près d'un verre à dentier.

Rien. Rien du tout. Le petit DAB luisait, le colibri de son logo flottant paisiblement sur l'écran. Nul panneau n'indiquait que la sournoise machine dévorait les cartes de tous les malheureux qui osaient déranger son écran de veille et le colibri sacré. J'appelle un numéro en 08 horriblement cher pour expliquer à la dame du téléphone de la Banque Postale, donc, que c'est une affreuse méprise, que je me demande à qui m'adresser pour récupérer ma carte immédiatement: « ah mais vous pouvez rien faire hé, et nous non plus, faut faire opposition hé ».

J'ai tracé chercher mon mec pour lui expliquer la situation, cinquante mètres plus loin. Camille est très grand, plutôt balèze, a en ce moment une quasi boule à zéro depuis que j'ai parié pouvoir lui couper les cheveux après avoir torché une demi-bouteille de vodka mais c'est un autre incident malheureux qui ne mérite pas qu'on l'évoque plus avant. De plus il est assez old school dans ses manières: très poli, pas plus souriant que nécessaire avec le reste du monde, il déteste qu'on m'emmerde et le fait savoir sans ambiguité, avec une ferveur parfois toute latine. Lui qui a un huitième de sang belge tout de même. Il m'a attrapée par la main, et nous sommes partis en direction des locaux de la Poste du Capitole.

Il m'est difficile d'être désagréable et cassante avec des gens qui me font suer, certes, mais parce que leur travail les y oblige. Une empathie confinant parfois à la lâcheté, plus souvent au fait que je me souviens aisément de tous ces tafs alimentaires pourris que j'ai fait, traitée de haut, à peine considérée, vivant un sourire et un merci comme une bénédiction. Une empathie venant du fait que mon propre père a un travail difficile, qui l'expose souvent à la vindicte de ses clients, et que je ne supporterais pas avoir pourri le papa de quelqu'un d'autre. Sentimentalisme assumé. Donc nous n'avons pas pourri le premier employé de la Poste que nous avons interrogé au sujet de ma carte bouffée. Non. Il n'avait pas les réponses à nos questions, bien que s'étant visiblement fait assaillir par une dizaine de personnes dans la même journée, sur le même problème. Dix personnes avaient déjà vu leur carte confisquée, et le bonhomme en chiait. C'était la fin de la journée, il voulait retrouver sa femme et ses gosses et ses pantoufles, et une rouquine furibarde accompagné d'un géant au regard patibulaire venaient lui remettre dix balles dans le jukebox. On n'a pas voulu s'énerver sur toi Michel, on t'a compris. Tu n'avais pas les infos, personne ne t'avait dit quoi faire. C'était pas ta faute, mais celle de ta hiérarchie. Et t'avais la tête à être le papa de quelqu'un. Alors j'ai demandé à voir ta responsable.

Alors la responsable s'est ramenée, agacée, pleine de cette tension qu'on ne sent que certains jours de pleine lune. Elle savait, elle était au courant que le DAB chiait dans la colle. Et elle nous a reçu avec cette phrase malheureuse, celle qui a soudain fait clignoter des petits points écarlates dans mon champ de vision: « Bonjour, alors la discussion va s'arrêter sans avoir commencé, ya rien à faire, c'est pas notre problème ».

Plus j'avance dans l'âge adulte, plus j'en apprends les codes avec surprise et fatalité. Et cette phrase fait partie des trucs qu'on ne dit pas, jamais, à des clients. Ni a des collègues, ni à des amis, ni à ton mec, ni à ton éboueur, ni rien ni quedalle. Camille a employé le mot kafkaïen dans sa première réplique. Elle a eu l'air saisie, juste assez pour nous permettre de l'ouvrir et de lui imposer cette discussion qu'elle ne voulait pas avoir. On a appris que le DAB, siglé La Poste, ne dépendait pas de la Poste, mais d'une obscure société de convoyeurs de fonds qu'il nous était impossible de contacter, sous aucun prétexte. On a appris qu'ils étaient au courant pour les dysfonctionnement du DAB. On appris que j'avais plus qu'à attendre gentiment et à retourner de là d'où je venais, et vite parce qu'au regard peu cillant de la dame, elle en avait maté des plus coriaces peuchère.

« Vous êtes en train de me dire qu'un équipement dont vous vous servez pour votre business, vient de me paralyser dans ma vie personnelle et professionnelle, que je dois faire opposition, me mobiliser pendant trois semaines pour gérer ma vie, mes réservations d'hôtel, mes billets de train, sans carte bleue, que vous ne voulez rien faire, et qu'en plus, l'essentiel pour vous, c'est que vos services soient au courant du problème en interne, mais que le fait qu'il n'y ait aucune signalétique pour tous les gens qui sont en train de se faire avaler leur CB en ce moment même, ça vous passe au-dessus?  Vous êtes au courant que moi-même et une autre personne sommes allés chercher un marqueur pour écrire à côté de la machine, et prévenir les gens de ne surtout pas s'en servir? »

« Ah ben il me faudra vous signaler à la Mairie de Toulouse pour dégradation alors! »


Go ahead, maintenant tu sais comment je m'appelle. J'ai pas tenu le marqueur, mais si ça avait été moi, je l'aurait fait en lettres de deux mètres. J'aurais fait un tag de Gandalf en train de tomber dans les mines de la Moria au dessus du distri, hurlant « Fuyez, pauvres fous »! à tous les passants. L'exercice de mauvaise foi d'aujourd'hui me reste en travers de la gorge, pendant que ma carte bleue dort dans je ne sais quel conteneur anonyme, géré par une mystérieuse société trop surpuissante, tellement surpuissante que même les grands manitous de la Poste n'osent prononcer son nom à voix haute.

Décidément la vie est plus facile quand on s'appelle Léa Seydoux.









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