mercredi 9 octobre 2013

On a tous à y gagner.


En premier lieu, ne touchez pas au distributeur automatique de la Banque Postale de la rue du Taur. Plus jamais.

Ensuite voilà l'histoire. D'une trivialité affolante, mais là ça me fait plaisir de pouvoir au moins raconter cette petite heure de ma vie, vu que je ne la récupèrerai jamais.

Je me pointe aujourd'hui rue du Taur , à l'ESAV, pour assister à la projection du dernier court-métrage de mon cher et tendre, et pense aller retirer un peu de thune parce que les étudiants, ça boit des bières en terrasse sous n'importe quel prétexte, alors après une projection n'en parlons pas.
Guillerette, enfin, autant qu'on peut l'être en ayant déjà passé la journée à préparer assez de photocopies Pöle Emploi pour vider la forêt des Landes, à réclamer de l'argent bien mérité à un grand groupe de cinéma international qui serait sans doute plus prompt à payer le salaire de Léa Seydoux, et en ayant constaté de surcroît que même en ayant trois métiers à la fois, je ne pouvais toujours pas faire sourire mon banquier. Je ne me sentais pas trop mal, certes, mais peu confortable. Pas très trop insérée dans le système. A se sentir coupable de regarder d'autres vitrines que celles du supermarché.

Donc un peu distraitement, j'introduis ma carte bancaire dans ce distributeur, effectue une ou deux manips pour retirer un billet de vingt, et là, tout aussi, distraitement, nonchalemment même, l'écran m'indique que ma carte ne me sera pas restituée.

C'est cruel une machine. Dieu sait que je les aime, dieu sait que cet amour n'est souvent pas réciproque. Mais c'est une injustice dont je sais m'accommoder, dans l'humilité, dans l'effort, en me disant que toutes conneries confondues, la machine ne fait que ce que l'homme lui a dit de faire. Marvin, mon ordi, est au bout du rouleau, et je pense qu'il aurait pu tenir six ans de plus si entre ses touches, n'étaient pas coincé l'équivalent d'un paquet de clopes et d'un Best Of Royal Cheese. Si un ordi que je manipule se met à faire n'importe quoi, je m'accuse en premier. Mais là c'était hors de question.

Bien que mon compte en banque soit dans un état famélique, il restait assez d'argent dessus pour que je puisse tirer vingt dols. Aisément. Je n'étais pas non plus partie dans une rêverie impromptue qui aurait laissé ma carte plus de trente secondes dans un distributeur inactif. Résultat? Je me retrouvais sans carte bleue à cause d'une machine défectueuse, et ce n'était pas ma faute. Un gars s'est approché de moi pour me prévenir qu'il venait aussi de se faire bouffer sa carte, et d'autres personnes avant lui, là, la culpabilité m'a de nouveau assaillie, et j'ai cherché du regard le panneau placé en évidence, indiquant la panne dudit truc, qui m'aurait prouvé que oui, je me faisais vieille, que la cataracte frappait enfin, précédant le crépuscule, l'abandon de tous les êtres chers et le tic-tac aride d'un réveil posé près d'un verre à dentier.

Rien. Rien du tout. Le petit DAB luisait, le colibri de son logo flottant paisiblement sur l'écran. Nul panneau n'indiquait que la sournoise machine dévorait les cartes de tous les malheureux qui osaient déranger son écran de veille et le colibri sacré. J'appelle un numéro en 08 horriblement cher pour expliquer à la dame du téléphone de la Banque Postale, donc, que c'est une affreuse méprise, que je me demande à qui m'adresser pour récupérer ma carte immédiatement: « ah mais vous pouvez rien faire hé, et nous non plus, faut faire opposition hé ».

J'ai tracé chercher mon mec pour lui expliquer la situation, cinquante mètres plus loin. Camille est très grand, plutôt balèze, a en ce moment une quasi boule à zéro depuis que j'ai parié pouvoir lui couper les cheveux après avoir torché une demi-bouteille de vodka mais c'est un autre incident malheureux qui ne mérite pas qu'on l'évoque plus avant. De plus il est assez old school dans ses manières: très poli, pas plus souriant que nécessaire avec le reste du monde, il déteste qu'on m'emmerde et le fait savoir sans ambiguité, avec une ferveur parfois toute latine. Lui qui a un huitième de sang belge tout de même. Il m'a attrapée par la main, et nous sommes partis en direction des locaux de la Poste du Capitole.

Il m'est difficile d'être désagréable et cassante avec des gens qui me font suer, certes, mais parce que leur travail les y oblige. Une empathie confinant parfois à la lâcheté, plus souvent au fait que je me souviens aisément de tous ces tafs alimentaires pourris que j'ai fait, traitée de haut, à peine considérée, vivant un sourire et un merci comme une bénédiction. Une empathie venant du fait que mon propre père a un travail difficile, qui l'expose souvent à la vindicte de ses clients, et que je ne supporterais pas avoir pourri le papa de quelqu'un d'autre. Sentimentalisme assumé. Donc nous n'avons pas pourri le premier employé de la Poste que nous avons interrogé au sujet de ma carte bouffée. Non. Il n'avait pas les réponses à nos questions, bien que s'étant visiblement fait assaillir par une dizaine de personnes dans la même journée, sur le même problème. Dix personnes avaient déjà vu leur carte confisquée, et le bonhomme en chiait. C'était la fin de la journée, il voulait retrouver sa femme et ses gosses et ses pantoufles, et une rouquine furibarde accompagné d'un géant au regard patibulaire venaient lui remettre dix balles dans le jukebox. On n'a pas voulu s'énerver sur toi Michel, on t'a compris. Tu n'avais pas les infos, personne ne t'avait dit quoi faire. C'était pas ta faute, mais celle de ta hiérarchie. Et t'avais la tête à être le papa de quelqu'un. Alors j'ai demandé à voir ta responsable.

Alors la responsable s'est ramenée, agacée, pleine de cette tension qu'on ne sent que certains jours de pleine lune. Elle savait, elle était au courant que le DAB chiait dans la colle. Et elle nous a reçu avec cette phrase malheureuse, celle qui a soudain fait clignoter des petits points écarlates dans mon champ de vision: « Bonjour, alors la discussion va s'arrêter sans avoir commencé, ya rien à faire, c'est pas notre problème ».

Plus j'avance dans l'âge adulte, plus j'en apprends les codes avec surprise et fatalité. Et cette phrase fait partie des trucs qu'on ne dit pas, jamais, à des clients. Ni a des collègues, ni à des amis, ni à ton mec, ni à ton éboueur, ni rien ni quedalle. Camille a employé le mot kafkaïen dans sa première réplique. Elle a eu l'air saisie, juste assez pour nous permettre de l'ouvrir et de lui imposer cette discussion qu'elle ne voulait pas avoir. On a appris que le DAB, siglé La Poste, ne dépendait pas de la Poste, mais d'une obscure société de convoyeurs de fonds qu'il nous était impossible de contacter, sous aucun prétexte. On a appris qu'ils étaient au courant pour les dysfonctionnement du DAB. On appris que j'avais plus qu'à attendre gentiment et à retourner de là d'où je venais, et vite parce qu'au regard peu cillant de la dame, elle en avait maté des plus coriaces peuchère.

« Vous êtes en train de me dire qu'un équipement dont vous vous servez pour votre business, vient de me paralyser dans ma vie personnelle et professionnelle, que je dois faire opposition, me mobiliser pendant trois semaines pour gérer ma vie, mes réservations d'hôtel, mes billets de train, sans carte bleue, que vous ne voulez rien faire, et qu'en plus, l'essentiel pour vous, c'est que vos services soient au courant du problème en interne, mais que le fait qu'il n'y ait aucune signalétique pour tous les gens qui sont en train de se faire avaler leur CB en ce moment même, ça vous passe au-dessus?  Vous êtes au courant que moi-même et une autre personne sommes allés chercher un marqueur pour écrire à côté de la machine, et prévenir les gens de ne surtout pas s'en servir? »

« Ah ben il me faudra vous signaler à la Mairie de Toulouse pour dégradation alors! »


Go ahead, maintenant tu sais comment je m'appelle. J'ai pas tenu le marqueur, mais si ça avait été moi, je l'aurait fait en lettres de deux mètres. J'aurais fait un tag de Gandalf en train de tomber dans les mines de la Moria au dessus du distri, hurlant « Fuyez, pauvres fous »! à tous les passants. L'exercice de mauvaise foi d'aujourd'hui me reste en travers de la gorge, pendant que ma carte bleue dort dans je ne sais quel conteneur anonyme, géré par une mystérieuse société trop surpuissante, tellement surpuissante que même les grands manitous de la Poste n'osent prononcer son nom à voix haute.

Décidément la vie est plus facile quand on s'appelle Léa Seydoux.









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