dimanche 10 novembre 2013

Into the Void

Un de mes principaux problèmes dans la vie de tous les jours, c'est de ne pas supporter le vide.

Je réfléchis comme je fume, à la chaîne, en retirant le plus grand plaisir des plus grosses flambées. Je suis en surchauffe permanente. Donner du sens à tout ce que j'apprend et tout ce que je fais, c'est vital pour moi. C'est dur parce qu'il m'est impossible de supporter le néant et la médiocrité trop longtemps, sans réagir violemment, regimber, voire être en rupture avec bon nombre de gens que je ne peux pas, au final, m'empêcher de juger.

Dans une semaine j'ai 31 ans. Et j'aurai la confirmation de que je pense depuis bientôt un an: ma crise de la trentaine consiste à accepter totalement qu'il y a des trucs chez moi, des traits de caractère, que je ne maîtrise pas, que je n'ai pas vus s'installer... et que je ne veux pourtant pas changer, jamais. L'intégrité n'a rien à voir avec le fait d'être pétri de vertus. C'est peut-être même d'être fait à 99% de défauts, et de ne pas lutter contre ça. J'aime pas le vide. J'aime pas les formules toutes faites. J'aime pas Nabilla, j'aime pas non plus les sociologues qui font des piges dans le Nouvel Obs sur le dos de Nabilla, j'aime pas les hipsters qui placent tellement au-dessus de Nabilla, j'aime pas qu'elle devienne une muse de couturier ou un objet de moqueries systématiques, tout simplement parce que pour moi, ce mécanisme d'adoration/répulsion pour une personne qui n'a rien fait, rien créé, suivi par des millions de gens, revient à alimenter le néant. Le néant et son pouvoir dévastateur. A croire que tous les mômes de ma génération en disant avoir eu peur devant l'Histoire Sans Fin, ont tous menti.

Le grand RIEN. Celui, béant, des programmes télé que je fais défiler lors des rares fois où j'allume le poste. Donc maintenant, on finance de la télé-réalité sur tous les sujets possibles? Excusez-moi, n'ayant rien suivi depuis 2007 pour cause de punk rock, je viens de découvrir toutes ces émissions pour trouver des apparts, pour apprendre à récurer une maison, pour devenir le meilleur pâtissier, ou ébéniste ou chauffeur de bus ou que sais-je encore. Ou celle qui envoie des ch'tis en Californie. A noter qu'on n'envoie pas encore des mecs de South Central à Lens. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte du choc que j'ai reçu, à voir débarquer Anémone dans un de ces programmes; Anémone, en train de chercher un appart pour son grand dadais de fils, baladant sa mauvaise humeur et un caniche nommé Turlutte devant les caméras de M6, le tout sur un morceau de Maroon 5. Je remercie le ciel que Desproges soit mort il y a longtemps. Face aux torrents de connerie validés chaque jour en télé, en presse et en radio, même lui n'aurait plus pu lutter.

Stephen King, dans le volume 2 de "Ca", présentait le personnage secondaire de Patrick Hockstetter, un gamin perturbé, future cible du clown tueur. L'esprit du petit Patrick était décrit comme "un désert glacé rempli de fumerolles". C'est là que j'atterris quand le néant se présente. Dans un désert glacé où j'entrevois la fin de tout ce qui est juste, sincère et intelligent. Selon mes critères. Et à bientôt trente et un ans, j'ai appris à les considérer comme très valables. En gros, ça y est, je deviens une vieille conne. Et c'est génial, que n'ai-je commencé plus tôt, on se le demande. Maréchal, nous voilà. Bring out the gran.

Dans mes résolutions de toute nouvelle vieille conne, j'ai décidé de ne plus lire MadMoizelle.com. Le webzine féminin jusque là frais et lol, savait proposer des articles fins, qui remettaient en cause ma vision du monde, puisqu'on y parlait sociologie, féminisme, on y dézinguait les complexes et les idées reçues dans des dossiers et des témoignages parfois poignants. Puis MadMoizelle a passé la barre des cent milles pouces sur facebook, certaines plumes de la rédac se sont un peu désolidarisées du projet. Et là mon newsfeed a été inondé du jour au lendemain d'infos de chez MadMoizelle. Des promos sur des petites culottes en Lurex, des sites d'artistes qui redessinent les princesses Disneys en fringues 90'/break-coreuses/version mâle/pop culture, des articles ne se voulant pas sérieux mais devenant relayés et promotionnés jusqu'à la migraine oculaire. J'ai bien compris que l'article récent sur la typologie des différentes façons de pisser ne cherchait pas à décrocher le Pulitzer hein. Mais méritait-il donc d'être bastonné sur mon newsfeed pendant trois jours?

En parlant de matraquage médiatique, je suis allée voir La Vie d'Adèle sans tenir compte du charivari monstre à son sujet depuis cet été. Quand on est une nouvelle vieille conne, la première leçon qu'on retient, c'est qu'une mauvaise promotion reste de la promotion. Et qu'on ne soupçonne jamais assez jusqu'où les gens peuvent aller pour se faire mousser. Donc vaut mieux pas s'occuper de la communication autour de ce film, et y aller pour voir une histoire d'amour au cinéma.

C'est fait, donc la Vie d'Adèle est un film bancal, le personnage de Léa Seydoux n'a aucune substance, les dialogues sont à se taper la tête contre les murs, Adèle Exarchopoulos subit les assauts permanents d'un réalisateur fétichiste, plus préoccupé par les muqueuses de la petite que par le confort visuel du spectateur (même Gaspar Noé est moins maltraitant avec son public), et la scène de sexe, mon dieu. Une catastrophe. A voir Exarchopoulos et Seydoux enchaîner les fessées, feuille de rose et autres ciseaux, j'ai pensé à Spielberg, président du jury de Cannes ayant récompensé ce film nul, Spielberg qui aurait déclaré "c'est la plus belle histoire d'amour que j'ai jamais vu, je la montrerai à mes enfants". Steven, tes enfants, c'est nous, bordel, pourquoi tu nous fais ça. J'ai l'impression d'entendre un grand-oncle adoré se mettre à encenser le Front National pendant un repas du dimanche. Une histoire d'amour au ciné, c'est sur lécran entre ses personnages, et c'est aussi entre le film et ses spectateurs. Et moi je suis sortie de la Palme d'Or 2013 en la détestant cordialement, avec ses clichés puants, sa fracture sociale traitée comme dans un Onteniente, si ça, Steven, si c'est ça pour toi l'amour, moi je préfère l'abstinence.

Vide, néant grotesque, gênant, encore plus terrible est celui du quotidien, car pour une brève de comptoir, combien de platitudes, de banalités, quelle angoisse si commune et injuste que celle du silence. L'impardonnable phrase entendue dans la bouche d'un obscur confrère animateur radio: "boah, nous notre métier, c'est de parler pour ne rien dire". Mon cher je ne me souviens même plus de ton nom, étoile filante que tu étais, comme nous tous, CDD animateurs à Radio France, à passer quelques jours dans une station où j'officiais en même temps que toi. Mais où que tu soies, sache que je pense, chaque jour d'antenne, à ta maxime. Pour toujours veiller à faire le contraire.

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