mercredi 8 octobre 2014

L'âge d'or du grotesque

Il y a quelques mois, en contrat à Limoges, je rentrai quelque soirs de suite dans mon appart avec une certaine impatience, me lover dans une couverture, “Apparences” en main. Deux soirs pour être exacte. J'ai dévoré le livre de Gillian Flynn, un polar étourdissant, dont l'adaptation ciné est sortie aujourd'hui.




Je l'ai vu ce matin; c'est beau d'assister à une telle réunion de talents. En général le principe même de blockbuster, de supergroupe, de projet au casting de brutes, a tendance à me faire un peu rigoler. Le foie gras et le saumon ça bute, mais pas ensemble sur la même tartine.

Un couple se rencontre, s'aime aux premières secondes, de cet amour complice dont nous avons tous rêvé. Lui, c'est Nick, parfait guy next door, elle, c'est Amy, belle brillante et riche, ridiculisée par des parents l'ayant transformée en héroïne pour la littérature jeunesse. Lui, prêt à la sauver, elle, de sa super vie et à lui offrir une vraie vie en retour. Ils sont beaux, si bien assortis, marrants, on les adore. Jamais seuls à l'apéro, c'est ce couple invité à tous les mariages de l'année, ceux dont on espère en les fréquentant qu'un peu de leur grâce déteindra sur nous.

 Le couple affronte avec grâce toujours, toutes les étapes du mariage, puis toutes les scories d'une époque de crise, puis ils perdent leur boulot, quittent Manhattan pour le trou du cul du monde du Midwest, pour s'occuper de sa mère à lui, malade. Quelques soucis s'installent, ils s'aiment peut-être un peu moins, pas de quoi s'affoler. Mais pourtant, un matin, elle disparaît. Et ça sent fort le roussi pour lui.

L'amour, tiens.... Nous avons tous rêvé de cet amour qui nous transcende et nous révèle à nous-même, qui nous apprend qu'être imparfait est normal, et qu'on ne sera vraiment aimé qu'en l'admettant. C'est une saine leçon. Perso ça m'a rapporté un jules qui est encore et toujours là malgré mon tatouage de Star Wars et mes vieux cds de Limp Bizkit. Il est jeune et fauché, je le suis un peu moins. Nous avons eu notre lot de petits et gros, voire très gros problèmes. Mais nous ne jouons pas l'un avec l'autre. Interdit. On s'est vus chialer, hurler, exploser de colère, être tristes, paniqués, on se frite, on n'est pas d'accord, on trouve les compromis,on fait comme on peut. Ca c'est entre nous. Et en public, nous nous fichons un peu de la représentation sociale de notre couple, ce qui est sans doute une bonne chose, en tout cas, cela nous correspond. Nous ne sommes ni charmants ni sortables partout. Et nous n'avons aucune pression des autres, aucune attente sur nos épaules. Je suis beaucoup moins dans le rôle du clown de service, lui n'en a jamais rien eu à carrer. Pas de représentation. 

Apparences, ou Gone Girl au cinéma, c'est l'histoire d'un couple qui se prend soudain cette notion d'apparence en pleine poire. Le paraître, ce qu'on donne à voir de nous, dans notre couple, puis en public, et ce qu'en font les gens. Comment une histoire d'amour se retrouve sous les projecteurs, les actes et les personnalités de l'un et l'autre jugés et discutés par un pays tout entier, au fur et à mesure que les jours passent sans nouvelles d'Amy, mais avec un lot de révélations accablantes chaque jour au sujet de Nick.

 Il serait criminel de ma part de vous en dire plus sans spoiler comme une catin, mais je peux quand même vous dire ceci: vous allez remettre en perspective toutes les rumeurs qui vont ont régalés au comptoir, sur le Net, dans les téléphones arabes dont ont fait les frais toutes les petites gens que vous connaissez, après avoir vu ce film.


De très bonnes critiques de Gone Girl sont déjà parues sous des plumes plus intelligentes que la mienne, notamment le Monde.fr, parlant du discours politique de Fincher, qui effectivement, lamine sans complaisance la société américaine dans son ensemble via son film. Et tous ses personnages. La toy girl de service, c'était celle de Blurred Lines, de Robin Thicke. Les parents d'Amy? Pompeux et grotesques comme des télévangélistes. Tous à baffer, tous interprétant ces gens qui s’avilissent volontiers dès qu'une caméra se fixe sur eux. C'est à frémir et c'est pourtant notre quotidien.


J'ai subi plus qu'apprécié la confession de Valérie Trierweiler, lue parce que mes auditeurs la lisent aussi. Loin de moi l'idée de contester la légitimité de ce livre: le fond se comprend, la forme est juste assommante, voilà le seul reproche à lui faire. Loin de moi l'envie de plomber les mecs de Mastodon pour avoir fait twerker des meufs dans leur dernier clip: si, malgré leurs déclarations désolées, la manip consistait juste à les faire buzzer, ils restent dix mille fois moins injurieux envers les femmes que ce groupe de reprises vu au before du Hellfest, dont le chanteur avait soudain éructé au début de Girls, girls, girls: “allez les nanas là, on veut monter sur scène? on montre ses nichons, je veux des nichons!”

Reste qu'ils ont dû avoir des sueurs froides, Valérie, les pauvres barbus d'Atlanta, en se voyant ainsi dézingués. Quelle plaie, en 2014, que de devoir gérer et contrôler son image publique quand les tirs de scuds s'affichent en un quart de secondes sous une vidéo ou un article. De ne jamais avoir droit à l'erreur....

Gone Girl parle de notre obscénité, tout ce qu'on ferait pour avoir le contrôle de notre image, de ceux qui y arrivent, et ceux qui se plantent. Ce n'est pas la première fois que Fincher parle d'obscénité: son serial killer la pourfendait dans Se7en. Son Zuckerberg l'exploitait dans The Social Network. Là c'est plus simple encore.

Là, mes amis, nous avons droit à une partition jouée avec précision, intelligence et respect de l'oeuvre originale. Ducasse, le grand chef, après des années d'effets de manche et de poêlons, ne jure plus pour le dessert que par de simples figues à peine brossées de leur poussière, Fincher devient quant à lui un véritable Ducasse du cinéma: un scénario désossé de ses aparté, et les acteurs parfaits. Choisis avec cruauté tellement Ben Affleck est le bonhomme terre-à-terre et trop doux pour n'être pas un peu veule. Tellement Rosamund Pike, trop vite classée blonde polaire, incarne avec précision son personnage de femme à la dérive.


Ah vous voulez vous montrer? Vous voulez faire parler de vous à tout prix? Allez voir le dernier Fincher. Il vous rappellera de choisir soigneusement ceux à qui vous vous montrez sous votre vrai jour. Ou d'assumer d'être imparfait, mais dans l'obscurité seulement.
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