lundi 21 novembre 2011

Aligot straight to hell.

L'âge apportant la sagesse, j'ai compris que je n'avais aucun talent culinaire particulier. Au delà du gloubiboulga consistant à poser un plat à tarte en bas du frigo, renverser ledit frigo dedans et mettre au four à 180°, c'est walou. Maintenant que j'ai trois sous, je délègue. Donc ça ne m'a pas dérangée ce dimanche, d'aller manger un aligot au restau.

Faut que vous sachiez que la famille de ma mère vient de l'Aveyron. On y fait bien deux choses: s'ennuyer, et la bouffe. Ma mamie était une bonne cuisinière, elle a tenu un resto-bar-hôtel-épicerie pendant trente ans, elle faisait la tambouille pour soixante couverts tous les jours. Ma grand-mère maniait le piano de cuisine comme Gershwin, et quand des parigots arrivaient à l'hôtel, elle levait les yeux aux ciel et disait à ma daronne: "Bopopopop qu'ils étaient maigres à faire peur comme des coucarels, va leur prendre la commande, qu'ils vont encore demander des citrons pressés ceux-là".

On s'est fait des tablées hallucinantes chez mes grands-parents. La nourriture aveyronnaise se compose de peu d'ingrédients, deux en moyenne, dans des quantités éléphantesques, et cuite avec soin, minutie, surveillée d'un œil soupçonneux comme Vulcain forgeait les éclairs de foudre de son père. Si c'est pas cuit, c'est Lascaux, si c'est trop cuit, ben tu meurs. Ma grand-mère ne ratait jamais rien, et surtout pas l'aligot.

L'aligot, c'est de la purée de pommes de terre, mélangée à de la tome de l'Aubrac. Dit comme ça, ça affole pas les foules, mais en vrai, la descente d'un bon aligot dans l'estomac, c'est du câlin organique, un plat qui te fait des choses que personne ne te fera jamais même dans une hutte du Club Med. C'est la douceur de trois millions de patates liées au fromage de l'Aubrac glacial, sorti des pis de braves vaches aux yeux placides. C'est la petite pointe d'ail savamment dosée qui te picote la langue telle le cornichon du Big Mac mais version rustique. C'est la saucisse grillée qui va avec, perdue, petitoune dans le giron de l'aligot, comme une métaphore sublime de la rencontre des gamètes. C'est le plat que tu peux manger en buvant n'importe quel vin pérave puisque tes papilles sont colmatées, étourdies, tsunamisées.

Voilà avec l'homme, on est allés à l'Aligot Bar à Toulouse, dimanche, cherchant un instant doudou de rabiot après un bon week-end, dans une petite assiette d'aligot-saucisse, genre pour voir. On a débarqué dans un fast-food de bois clair, plein de néons. On a commandé, un sourire frais et sincère se dessinant sur nos deux visages. Alors déjà la petite au bar, elle a rempli deux barquettes en plastique d'aligot et elle les a mises au micro-ondes. On s'est regardés, on s'est compris, on est restés, pour savoir, pour que le monde entier sache, plus tard.

On s'est assis à table, attendant notre aligot-saucisse d'ores et déjà condamné. Un panneau lumineux affichait des photos de l'Aveyron, un écran plasma, lui faisant face, gerbait des clips de PitBull et Nicky Minaj. Entre ire et joie, nous avons vu nos deux verres de vin arriver, pour patienter. Les verres étaient plus sales qu'un pare-brise, le vin bouillant. La petite au bar nous a apporté des glaçons. Je voulais me faire seppuku. Louis a tenu, le choc, ma main, il a tout tenu. Et l'Antechrist est arrivé dans sa barquette plastique.

En mâchant ce gravas infâme au goût de rhume dans lequel gisait une pauvre saucisse carbonisée, j'ai pensé à ma mamie. Ses cheveux noirs jusqu'à ses soixante-dix ans, ses bras touillant l'aligot avec une régularité implacable, telle une Parque filant la vie elle-même condensée dans de simples patates, de la tome tampon violet de Laguiole et une glissade d'ail. Je voulais pleurer. Ton aligot, mamie, c'était de l'amour, ce que j'ai mangé dimanche, je lui ai fait subir ce que je n'ai jamais fait au tien, jamais: j'ai joué avec. J'en ai fait des petits animaux qui dansaient, en faisant des bruitages atroces, je l'ai pas fini,on s'est tirés de là pour ne plus jamais y revenir.

Soyez chics et humains, n'allez jamais à l'Aligot Bar à Toulouse, vous y perdrez un bout d'âme.
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