mercredi 16 novembre 2011

Le retour de Saturne

Quand Gwen Stefani avait 25 ans, elle venait de se séparer de Tony Kanal, le bassiste de NoDoubt, son premier amour. Le groupe a tenu le coup, difficilement, avant de sortir "Return Of Saturn" cinq ans plus tard, premier album studio du groupe depuis le titanesque "Tragic Kingdom". Disque achevant la mutation non pas tant de la musique de No Doubt, mais de leur chanteuse, figure de proue d'un punk ska foutraque, adolescent, n'ayant aucun besoin de grandir.
Gwen, si.

Elle a passé sa rupture dans les clubs, dans l'électro et le hip-hop, ses cheveux châtains blondissant de plus en plus. Je serais Joyce Carol Oates, j'écrirais ma propre version de Blonde, version Gwen. Je l'imagine dans les vapeurs des clubs de Miami, en Jamaïque, soûle, défoncée, forte d'une carrière internationale à vingt-cinq ans, un trou fumant dans le coeur et la peur au ventre à l'idée que tout ça doit, selon la presse, selon les fans, selon le monde entier, continuer. Je l'imagine entendre "Don't Speak" en boucle à la radio, l'histoire de sa rupture avec Kanal, devenir le tube du groupe. A sa place j'aurais éclaté tous les postes de ma maison en le réalisant.

Et puis elle a rencontré Gavin Rossdale, le mec pas bien coiffé de Bush, et doucement, No Doubt a repris le chemin des studios. A l'époque ou Return of Saturn est sorti, elle avait dit en interview qu'elle avait choisi le titre du skeud à l'aube de ses 29 ans, temps qu'il faut à la planète pour revenir dans le ciel de naissance de quelqu'un, amenant avec elle la fin des illusions, la fin de la jeunesse idiote et débridée.

Return Of Saturn, je l'écoutais en boucle en 2000. Je venais d'avoir mon bac L émaillé de 5 et de 18, de me faire plaquer par un crétin dont je me croyais amoureuse parce qu'on choquait tout le monde à se rouler des gadins dans un lycée catho et que je bichais de risquer l'heure de colle et la mononucléose, sweat à capuche Tank Girl, mèches violettes, baggy beige, Osiris et collier de skateur, ayant vaguement conscience que la rentrée en fac de droit  à Toulouse allait être moins flamboyante que si je m'étais décidée à partir en Angleterre faire du théâtre comme j'en rêvais. Juste Gwen qui chantait Ex-Girlfriend, et moi qui chantait par-dessus, assise dans un fauteuil gonflable argenté, dans ma chambre, inutile de rire,c'était très en vogue à l'époque.
Impossible, impossible de m'imaginer à vingt-neuf ans. C'était trop vieux, ça sentait la crème de nuit, les responsabilités. Saturne censé dissiper le brouillard, révéler qui on est? Putain, je voguais sur Mars.

 J'en avais dix-sept, j'étais une petite conne, et je ne pensais qu'à un petit con fan de tuning, de surcroît. Le monde, c'était la rue St Rome et le Bikini du chemin des Etroits. C'était mes copains de Seaside qui avaient mon âge et grimpaient sur scène pour faire de la pop vénère un peu yaourt mais terriblement sincère. C'étaient les paquets de dix clopes, et les pétards grillés sur le trottoir au rythme des planches de skate qui raclent le béton, les poches toujours vides et les kilomètres à pied dans la nuit pour aller faire la fête dans des pavillons carrelés en banlieue, c'était les lecteurs de cds fragiles bien calés dans des besaces militaires trouvées à la fripe à côté d'un portable Itinéris, c'était jamais de l'amour, jamais du sexe, mais un truc entre les deux qui au moins, apprenait le spleen, c'est l'année où j'ai déchiré tous les posters de ma chambre, Lords Of Acid, Red Hot, Helmet, Primus, pour laisser de la place à autre chose de plus adulte. Bonne auto-blague.

Si j'avais eu un truc à souhaiter en atteignant vingt-neuf ans, ça aurait été que le brouillard se dissipe d'ici là, apercevoir d'autres limites à atteindre, la frontière avant un monde nouveau. Il s'est levé petit à petit, au fil des années. Place à l'émerveillement constant, les nuits de fête qui s'allongent, les décibels qui grimpent, l'esprit critique qui s'affûte. Je n'ai jamais pensé que je vieillissais. J'ai foncé, vraiment trop heureuse de comprendre que le monde n'était pas une plaine brumeuse aux contours mal définis comme le Mordor, mais un gigantesque parc d'attractions, dans lequel on peut courir à en user cinquante paires de Converse, faire trois fois le même manège si on le veut, éviter ceux qui font vomir et inviter tous les gens qu'on veut, jusqu'à la fin.

Cette nuit, j'attends Saturne. Je n'ai pas une seule ride. Je suis plus jolie qu'à dix-sept ans. Sur les murs, du Kandinsky, du Doisneau, du zombie, du Hendrix. J'ai un boulot merveilleux qui reprend la semaine prochaine, qui consiste à déconner de façon hyper sérieuse et qui vaut tous les cours de théâtre au monde. J'ai des amis qui sentent la crème de nuit et les responsabilités, et qui vont pourtant me faire boire et rire avec moi comme on ne savait pas le faire à dix-sept ans. J'ai rencontré un homme, un vrai qui sent bon et qui pique, qui m'apprend le contraire du spleen. Un autre état méditatif et muet, lumineux, dur à décrire. J'arrête les mots. Saturne le marmoréen est là, drapé de silence, prêt à m'apprendre ce que je vais faire des vingt-neuf prochaines années. Salut ma poule. J'ai bien aimé ta dernière cuvée, sers-moi la petite sœur, et envoies-en une tournée pour tous mes potes, ma famille et mon homme. A la vie, tchin!
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1 commentaire:

So'luci a dit…

tu m'fais frissonner , vilaine !