lundi 12 mars 2012

Poupée de cire, poupée de son

J'aime les défauts. Les anti-héros, les personnalités qui claquent, d'une honnêteté brute, les imperfections me touchent peut-être plus que les qualités. Et ça, je le dis sans souci depuis la quiétude de ma chambre-cocon aux bougies à la vanille, mais je ne l'avouerai pas à voix haute, ça, c'est parce que je suis hypersensible.

Quand on est hypersensible, les émotions sont d'autant plus dures à maîtriser qu'elles arrivent emmêlées, en bloc, et deux fois plus fort que pour un individu aux boulons mieux vissés. On sait qu'on est ultra mal, on ne sait pas pourquoi, quelle est l'émotion qui prédomine, et pour un hypersensible, arriver à dire non pas "je me sens pas bien" mais "je suis en rogne - triste - déçu", bref, arriver à identifier son mal-être et sa cause, c'est un vrai soulagement.


Avant d'en tirer parti, c'est quand même une putain de méga-plaie. L'an dernier, quand pendant un journal, on devait parler de Fukushima, par exemple, je le faisais sans que personne n'entende que j'avais une enclume dans la gorge. J'avais une heure entre chaque canard pour faire face à l'émotion, mais elle revenait, marée montante, marée basse. Quand je me prend une baffe personnelle, je fais comme si de rien n'était, et progressivement, je balance des vannes de plus en plus osées, je dors de moins en moins, et puis ça finit par sortir, et deux fois sur trois, personne ne le sait, ne le voit, n'assiste au tsunami. Mais ça se travaille. On peut avoir une personnalité volcanique. Faut juste choisir d'être le Stromboli qui déverse son feu tranquillement, jour après jour, que le supervolcan du Yellowstone...

Et il faut se rendre compte aussi, vite, tôt, des avantages merveilleux de ce "handicap".


D'après Charlotte, une de mes collègues fan absolue des Kills, Alisson Mosshart n'aurait pas plus de cinq albums à la fois dans son iPod, jugeant qu'en avoir plus que ça en stock empêche de vraiment savourer ce qu'on écoute. Ça me rassure un peu, vu que j'ai la même attitude. J'évolue dans un milieu où il est aussi difficile d'être totalement à la page au niveau musical que d'avoir la robe qu'il fallait à chaque nouba royale à Versailles. Parce que j'ai rarement le temps, parce qu'un seul morceau peut aussi me faire la journée, trente fois de suite.

Quand j'étais ado, je m'endormais avec mon casque sur les oreilles, en boucle dedans, une seule chanson, différente chaque soir. Quand j'étais petite, je connaissais note pour note chacun de mes albums de musique ou de contes, maintenant, l'âge adulte franchement entamé, ce régime n'a toujours pas changé. Ce qui compte pour moi, plus, bien plus que d'avoir survolé un maximum de disques, de livres et de films, c'est de creuser à fond la poignée d’œuvres qui m'ont secouée, émue et forgée. Gourmette, plus que gourmande. Grâce à l'hypersensibilité.

La première fois que j'ai entendu Voodoo Chile, de Jimi Hendrix, a été une telle explosion dans ma petite tête blonde de treize ans, qu'elle a marqué la fin de l'enfance, le début du goût pour le sel, l'électrique, le sensuel. Je l'ai écoutée une fois, deux, dix fois, incrédule, suffoquée, me doutant bien que j'allais aimer Jimi et sa guitare, mais pas au point de ressentir, ben oui, quelque part, le premier orgasme de ma vie. Plus de quinze ans après, je la réécoute en écrivant, et j'ai des frissons plein la nuque.
Un an après, casque sur les oreilles à écouter "Fun Radio fait du bruit", et puis ce groupe que je connais encore mal, Metallica, et leur Hit the Light soudain balancé sur les ondes, un titre qui a mon âge, qui arrive comme le grondement d'une armée au loin, un titre crétin, on a fait mille fois mieux depuis, mais cette nuit-là, je n'ai pas dormi. Je suis arrivée au bahut blanche comme un linge et j'ai rien compris aux cours de la journée, ne pensant qu'à un truc: retourner à la maison, me replonger dans cette furie sonore qui m'avait mordue à la carotide comme un cobra enragé.
Je me revois encore, deux ans après, en cours d'anglais au lycée... Si seulement vous aviez pu voir ma tête la première fois que j'ai lu Richard III, de Shakespeare. "Here is the winter of our discontent, made glorious summer by this shining sun of York..." J'ai pris toute la magnificence de ces quelques vers direct dans la face, la morsure du froid et le picotement des nerfs caressés par le soleil, l'amertume et le soulagement, et, sous-jacente, la musicalité parfaite de ces strophes, aussi glorieuse et cinglante qu'une symphonie de Beethoven. Mon premier vrai gros concert, à l'ancien Bikini, Lofofora, 1998, mon premier slam, à peine le temps de comprendre ce que j'étais en train de faire, et la montée d'adrénaline qui transforme en plume, apesanteur, oubli, comme quand je prenais une bonne vague sur ma board à l'océan, tout n'est plus que chaos et rires, en oubliant totalement que l'atterrissage risque de faire ultra-mal.

J'ai d'ailleurs des souvenirs bien plus vivaces des bons moments que des mauvais, et je l'attribue à  l'hypersensibilité, ce drôle de capodastre posé sur mes cordes à moi, qui fait d'un évènement intense un trauma, et d'un bonheur, une intervention divine, balayant les traumas. J'ai déjà manqué me noyer en bodyboard, j'étais jeune, conne et seule, coincée sous la masse d'eau, du sable plein les yeux, je ne me souviens que de la petite voix dans ma tête  qui disait "calmos, bien sûr que tu vas sortir de là. T'as pas fini cette grosse tuerie de Seigneur des Anneaux, alors tu vas forcément sortir de là". Et après, la bataille du gouffre de Helm m'a au moins autant marquée que cette fois où j'ai manqué boire la tasse de ma vie. Voire, cette émotion à lire ces pages-là, comptait plus, était plus importante que tout le reste. Je me souviens à peine de la douleur que j'ai ressentie à être quittée par un gars qui comptait pour moi, il a quelques années, mais je sais que de la fureur, de la tristesse de ce moment, est née ma première émission de radio, une émission littéraire. Et le bonheur qui allait avec est encore vivant en moi, bien plus que tous les moments ou j'ai chouiné pour ce mec.

Être hypersensible est finalement devenu une bonne grosse blague permanente. Je me fous de ma propre gueule non-stop, en m'émerveillant devant une barbe à papa, un clip de Neil Cunningham, autant de trucs que je trouve non pas cool, mais magiques. Quand je vois un couple s'embrasser pour la première fois, je le sais, je reconnais un premier baiser entre mille, cette maladresse bouillante, je la vois en 3D comme si je n'avais jamais été myope, et je revis chaque bon premier baiser de ma vie quand je regarde les vôtres. Les hypersensibles sentent ces ambiances spéciales, ces tensions, bonnes ou mauvaises. J'essaie de puiser de l'énergie dans les bonnes...

Il reste un nombre incalculable de créations qui me laissent de marbre. On en discutait avec des amis, deux frangins albigeois: on était d'accord sur le fait que notamment sur Facebook, tout devenait "génial". On aimait tout et nawak en bloc. Like-moi ça jeune. C'est nouveau, c'est underground, va donc liker. Et dire que c'est trop génial. Mon hypersensibilité filtre énormément de trucs. Quand on me tanne avec un court-métrage amorphe d'une minute pourtant liké par deux douzaines de potes, ou un énième groupe de tough guys blah blah pow pow, la petite voix dans ma tête dit "la base de données anti-trucs sans âme a été mise à jour".
C'est ça qui entre en résonance avec ce que je suis, les créations, les chansons, les films, les livres imparfaits, mais francs, simples, fait avec l'âme, sans calcul, qui vont m'empoigner le cœur comme le vilain gourou dans Indiana Jones et le temple maudit, ou comme Neo qui ressuscite Trinity. Une œuvre qui me touche ne va pas juste me toucher, elle va se tatouer à moi. Mais il faut qu'elle soit sincère, qu'elle sente le boulot, et la bagarre.

Alors voilà les derniers trucs qui m'ont défoncé le cœur. Ya du neuf, ya du vieux. Pour le très neuf, on commence par TURBOWOLF. J'ai abandonné l'exercice de la chronique détaillée de disques ya un moment, n'aimant pas vraiment disséquer ce qui doit juste se vivre. Faisons simple: ces mecs allaient se noyer dans la masse avec un nom pareil. Turbonegro, Wolfmother, j'aime bien ces deux-là, Turbowolf pouvait être leur petit frère né tardivement, le malingre, qu'on envoie au monastère des groupes attardés quand les grands frères sont élevés en chevaliers du rock n'roll, bien nés, au bon moment...
Que dalle. L'intégralité de leur premier album est un buvard de LSD sonique, un rejeton de Boris, New Bomb Turks, Marvin et Ted Nugent. Et il a les joyeuses bien descendues pour un nouveau-né.




Eux ne sont pas des chevaliers, plutôt des petits branleurs de mercenaires ripailleurs. Ce sont les vikings de KVELERTAK. Leur premier album me tenait réveillée dans le train de cinq heures du matin qui allait et repartait de Toulouse tous les week-end quand je bossais dans les Landes. Je les ai découvert au générique de fin de Troll Hunter, film d'horreur sympathique mais peu rigolo, et Kvelertak lui donnait enfin des couleurs dans ce générique final. Ils bossent avec Kurt Ballou de Converge, leur artwork est signé John Dyer Baizley, le gros ouf de Baroness qui fait moins des dessins que de véritables vitraux d'églises... et la caution arty s'arrête là. Kvelertak, c'est du steak tartare. C'est le coup de hache que tu rêves de coller entre les deux yeux de ton ex, ton patron, ton conseiller Pôle Emploi. C'est un album inégal, avec pourtant quelques titres comme Blodtørst ou Utrydd Dei Svake, qui donnent envie de tourner un reboot de Délivrance.

Regardez d'ailleurs ce que c'est pour eux, le rock n' roll, quand ils vont jouer à Singapour, état ultra-surveillé où la censure est appliquée, les manifestations interdites et où on coupe les cordes vocales aux chiens qui aboient la nuit.
Forcément, on va pas aller les couper à des loups.



J'ai beau ne pas être fan de M, il m'avait faite rire avec le complexe du corn-flakes, évoquant en un morceau funky ces micro-hontes qui taraudent tout rocker débutant né à Brive et pas à L.A. S'il faut vraiment, éternellement comparer le rock français à celui des ricains, ok, j'ose: on a nos Bouncing Souls.

Ils s'appellent The Decline!, leur premier album se nomme Broken Hymns for Beating Hearts, et c'est une suite jouissive de chansons de marins, un résumé de ce qu'est le punk: la seule musique au monde qui ne peut jamais rendre triste. Je vais les voir avec Justin(e) le 16 avril à Toulouse, un jour, je pense les revoir en première partie de Gaslight Anthem. Je leur souhaite. J'écouterai This City's mine en partant à Bayonne à la fin du mois, dans le train, sur la plage, saluer l'arrivée du printemps les pieds dans l'eau avec cette chanson frénétique, qui m'a déjà servie de pacemaker en janvier, sous la neige de Pau quand mon petit cœur venait de prendre très cher. Vous n'auriez pas pu choisir un meilleur titre d'album, les mecs.



En parlant de Rennes, il y en a une qui boit régulièrement des canettes avec The Decline!, qui apparait même, tout en jaune soleil, dans le clip de "A Punch in my head", ci-dessus, et qui, hasard des communautés de meufs sur le Net, est devenue depuis deux ans, une amie. Yuna et moi, on ne s'est jamais vues. On n'a jamais ni le temps ni le blé pour le faire. Et c'est très nul parce que je dois à Yuna des crises de rire monstrueuses, de longues discussions dans nos QG virtuels, des moments d'apaisement quand je flippe, et un apprentissage de la féminité qui manquait à mon CV. Yuna est une artiste. Elle joue de la basse et enfile les vannes comme les perles, mais elle a aussi des pinceaux.... à maquillage.

Hé oui, s'occuper de soi, ca passe aussi par ça. Catastrophée par les tirades puantes de gens qui trouvaient à redire sur les victimes de prothèses PIP, sur la manucure de Mallaury Nataf, je tiens à vous rappeller qu'une fille qui prend manifestement soin d'elle sera plus à même de, par exemple, trouver du boulot, qu'une fille moins coquette (loi implicite définie par des hommes) et qu'en plus, si on veut se chouchouter, personne n'a rien à y redire. Je suis la danse des pinceaux de Yuna sur sa chaîne youtube, et elle m'aide à comprendre ce que j'ai de joli, de spécial, qu'on peut illuminer. Moi et plein d'autres. Alors quand je lui ai demandé de m'aider à élaborer vraiment mon maquillage d'Opiumette, voilà ce qu'elle a fait, pour moi, mais pour plein d'autres aussi. Je t'en remercie encore profondément, Yuyu. Surtout que quand on est hypersensible, on ne sait jamais par quel bout se prendre pour s'occuper de soi, toi tu me files quelques clés de compréhension, pour être gentille avec moi-même et me distraire. Quand je me maquille, je fais le vide dans ma tête, les émotions se taisent. Je suis juste zen, et appliquée. Et ça, tu le sais, tu me connais... c'est pas du luxe.




Quatre heures du matin. Cendrier plein, de la musique plein la tête, encore trois jours d'un long week-end devant moi avant de ré-attaquer pour les matinales du week-end prochain sur France Bleu Toulouse. Quelques albums en stock à écouter, peut-être de futurs gros trips, des livres ouverts et cornés qui attendent que je leur redonne une chance, le soleil qui revient. Chaque jour de plus en plus fort, plus longuement. C'est bon d'y être si sensible. J'attends le printemps comme un deuxième Noël...
Rendez-vous sur Hellocoton !

Aucun commentaire: