lundi 9 avril 2012

L'Apocalypse selon George R.R. Martin.

Être complètement marteau, mordue, ravagée d'amour pour Game Of Thrones me fait plus de bien que je ne saurais dire. Une bonne tranche de fan attitude, dans une vie, ça se savoure. C'est vraiment, totalement, comme de tomber amoureuse. Le moindre détail devient crucial à retenir, plus on en sait, plus on veut en savoir sur ce qui nous fascine, nous renvoie une image de nous qu'on ne soupçonnait pas. Avec cette série de livres, je retrouve des sensations plus éprouvées depuis un moment. Vous vous doutez que j'avais commencé trois ou quatre posts à ce sujet, surtout si vous et moi on est copains Facebook: chez moi, c'est devenu une fan page non officielle frappadingue, où mes copines pourtant moins autistes se sont également prises au jeu des trônes. Je fais à vingt-neuf ans ce que je ne faisais pas à treize: je suis FAN des pieds à la tête d'un univers virtuel et de tous ses personnages.

Ce qu'on appelle coup de foudre est en fait soigneusement préparé par l'esprit pendant des années, l'esprit qui accumule des références, des souvenirs, des ressemblances: les fondations de notre âme. On tombe amoureux de ce qui nous ressemble, ou de ce qu'on voudrait être, ce qui est au fond, la même chose. Ben pour Game Of Thrones, ça a été le coup de foudre: tout ce que j'ai aimé avant ce livre, je le retrouve dans mon nouvel amour de 2000 pages.

C'est effectivement un jeu, gigantesque. Il y a quelques années, un livre de Stephan Zweig m'avait laissé un souvenir cuisant: le "Joueur d'échecs".

L'histoire d'un affrontement entre deux joueurs sur un paquebot, l'un d'entre eux, Mr B., ancien notaire autrichien ayant développé ses talents de façon troublante: enfermé pour interrogatoire par les nazis dans une cellule vide de toute distraction, son esprit commençant à tourner, lui aussi, à vide. Les jours passent, deviennent des semaines. La vraie séance de torture commence: la folie commence à faire bouillonner l'esprit de Mr. B. qui a épuisé tous ses souvenirs pour passer le temps, qui a fini de compter les points de couleur de sa couverture, les craquelures du plafond, pour ne pas s'ennuyer. Il ressent la douleur des fans de Megaupload, fois mille, et bien plus longtemps. Atroce hein?

Et là, miracle, Mr B. avise un livre dans une veste oubliée dans la cellule par l'un de ses geôliers. Cruelle farce: ce n'est pas un récit, ce n'est pas de la nourriture spirituelle toute prête à consommer: c'est un livre d'échecs, composée du code des parties les plus connues de l'histoire du jeu.  Comme si après des mois de disette, vous espériez une bonne bouffe, et qu'on vous file juste un livre de recettes. A devenir fou à lier.

L'esprit humain étant une mécanique merveilleuse, Mr B. échappe à la folie en apprenant ainsi les échecs, coup par coup, en quelques mois, il se met ainsi à jouer des parties... contre lui-même, et trouvera ainsi la clé de son évasion. On se connaît un peu mieux vous et moi, depuis le dernier post, alors ça ne me fera pas rougir de vous dire que j'ai pleuré comme une madeleine sous beuh pendant une bonne partie de ma lecture. Zweig s'est suicidé l'année précédant la parution du "Joueur d'Echecs", désespéré de voir le monde sombrer dans l'obscurantisme, considérant que si les nazis avaient le pouvoir, son existence d'homme de lettres, de défenseur de la culture face à la barbarie, était vide de sens. Que n'aviez-vous l'optimisme forcené de Mr B., Mr Z... 

Voilà pour la première référence qui m'est venue à l'esprit alors que je commençais à arpenter Westeros, ballotée par la plume de Martin, et prenant un plaisir sauvage à me faire autant malmener. Passons à une révélation encore plus croustillante...

Peu à peu, alors que commençait à se dessiner toute la hiérarchie du monde féodal de Westeros dans mon esprit, un royaume divisé entre plusieurs maisons nobles principales, d'autres, plus petites, leurs vassales, et toute sous la houlette d'un seul souverain, je me suis rendue compte que je ressentais la même excitation à en apprendre tant et plus sur les caractéristiques de chaque famille que quand j'avais ouvert... Dune, bien sûr.

J'ai pas envie, pour le moment, de lire une seule interview de George Martin. Mon ressenti me suffit, et puis j'aime pas me tromper, en connasse suffisante autoproclamée que je sais très bien être. Mais je pense que Saint George, le premier à faire naître le dragon au lieu de le tuer, connaît bien son guide du petit geek, et est forcément tombé la tête la première dans la saga cruelle de Frank Herbert.

On ouvre le livre avec la maison Atréides, descendants directs des héros grecs d'une vieille planète nommée la Terre, avec à leur tête le duc Leto Atréides, sommé par l'empereur Padishah d'aller régner sur Dune, seule planète de la galaxie à fournir l'épice. L'épice est une drogue décuplant les capacités du cerveau, et permettant aux officiers de la toute-puissante Guilde des Marchands, véritable maître du système impérial, de piloter leurs vaisseaux sans l'aide des ordinateurs, tous éradiqués et prohibés depuis des milliers d'années. En gros, vous léchez un caillou sur Dune, vous devenez une calculette de 1ère S.  Revenons à Leto Atréides: un patriarche bourré d'honneur et de loyauté, qui se fera dézinguer en trois chapitres par ses ennemis héréditaires, les Harkonnen, des psychopathes avides de pouvoir et des kilochiées de fric que représente la gestion de Dune. Les Harkonnen = les Lannister de Game Of Thrones, des enflures finies de père en fils, Leto Atréides = Eddard Stark, le justicier décapité. Pour être un bon écrivain, on tue le père, rapidement, proprement, mais on le tue. Et on s'identifie au fils.

Paul Atréides est un môme intelligent, beau, escrimeur-né. Lors de l'attaque des Harkonnen, il s'enfuit à temps de son château en compagnie de sa mère Jessica, pour trouver refuge dans une tribu aussi vieille que la planète elle-même: les Fremen. Il deviendra leur leader, leur prophète, et bien plus que cela, leur dieu, ayant absorbé une telle quantité d'épice que ses dons de prescience en font un surhomme. Pour le meilleur et pour le pire. Paul Atréides = tous les gamins de Game Of Thrones. George Martin a pris le matériel de base de Herbert et l'a multiplié: le résultat, et c'est dur pour moi de vous en parler sans spoiler, c'est que le jeu des trônes, dans toute son horreur est aussi joué par des gosses, y compris pour ses coups les plus terrifiants. De Paul Atréides, sont nés Robb Stark, roi du Nord malgré lui à quinze ans après l'assassinat de son père Eddard par Joffrey Baratheon, et chef de la rébellion qui oppose donc le Nord de Westeros au reste du royaume,  et de l'autre côté du ring, on y vient: Joffrey Baratheon, son ennemi juré, roi de tout le reste, immonde petite pute couronné à douze ans et un fou sanguinaire et illégitime au trône de Westeros, car issu de l'inceste de la reine avec son propre frère.

On n'a jamais dit que ça serait simple, chers lecteurs. Moi-même je vais sniffer un Doliprane et je reviens.

Dernier hommage suprême de Martin à Herbert, qui m'a faite frétiller de façon indécente sous ma couette lors des nuits de glace de février dernier: Paul n'est pas seul dans son combat pour reprendre son fief et sa vengeance. Sa petite soeur naît, quelques chapitres après que Leto soit mort. Elle est vive comme une anguille, a des dons paranormaux et est aussi dangereuse que son frangin: elle s'appelle Alia.... Alia Atréides = Arya Stark.

Dieu sait que j'avais aimé Alia, gosse rejetée par tous dès sa naissance parce que trop intelligente, semi-sorcière, puis adolescente finalement venérée par toute un peuple pour ces mêmes dons de prescience, mais fragile, menacée par la folie, ne trouvant quelques chapitres de paix que dans son premier amour. Arya Stark est du même bois, lui ressemble beaucoup, en plus guerrière cependant, moins Perséphone qu'Athéna. Arya Stark est aussi âpre et vive que son nom, c'est une des raisons qui font que je mettrai les deux milles pages du Trône de Fer dans les mains de ma propre fille, un jour. Arya est fille de lord, elle est née pour faire un beau mariage et perpétuer un nom, et elle s'en bat la race. Tout ce qu'elle aime au début du livre, c'est jouer de l'arc et de l'épée, et faire tourner en bourrique sa grande soeur plus élégante. J'aurais aimé la connaître quand j'étais pré-ado et faible comme un poussin. J'aurais eu le coup de boule moins complexé, ça m'aurait sauvé deux-trois cartables.

Dune était plus qu'un indispensable à lire, c'était aussi l'expérience d'une immersion dans un univers complexe, politique, où la science-fiction s'effacait souvent devant les jeux tactiques. C'était mon premier livre engagé, ma première vraie histoire d'adulte. C'est pour ça que je suis aussi contente de la retrouver un tant soir peu dans Game Of Thrones...


Mais le chef-d’œuvre suprême de Martin, son bijou, sachant que ce qu'il fait de mieux, c'est créer des femmes plus fortes que des titans, sa vraie fille, c'est Daenerys Targaryen.

Elle a les yeux violets d'Elizabeth Taylor, les cheveux blonds-blancs de Marylin Monroe. Je pense que ce n'est pas un hasard si Martin a donné à sa star es caractéristiques des deux plus immenses pin-up malheureuses d'Hollywood. Sa mère meurt en la mettant au monde, pendant une tempête, ce qui lui vaut le surnom de Stormborn. Elle est, avec son frère Viserys, la dernière descendante de la famille qui a régné sur Westeros pendant plusieurs centaines d'années, les Targaryen.


Si on se base uniquement sur ce que vous avez pu voir de la série télévisée, et je m'en tiendrai là pour ne pas vous gâcher tout les plaisirs qui vous attendent dès demain matin via vos plateformes de téléchargements pirates, les Targaryen n'ont pas une super réput' à Westeros. Leur dernier roi, Aerys, père de Daenerys, était surnommé le Roi Fou, et ses agissements macabres ont amené à une guerre, gagnée par les familles qui règnent au tout début du livre et de la série. Daenerys naît pendant cette guerre, doit s'enfuir de sa terre natale et ne jamais y remettre les pieds.

Son frère Viserys et elle errent depuis des années de l'autre côté de la mer, sur un continent exotique où une tribu nomade de guerriers règne en maîtres, par le pillage et les massacres: les Dothraki. Viserys, légitime héritier du Trône de Fer, même si c'est un gros connard, mais c'est comme ça, a besoin d'une armée pour revenir chez lui et poser les pieds sous la table. Pour l'avoir, il marie de force Daenerys à un seigneur dothraki nommé Khal Drogo, qui en plus de ressembler à un Conan passé au brou de noix, est à la tête d'une armée gigantesque.

Voilà comment on rencontre Daenerys. Dans le livre, elle a quatorze ans, elle est un peu plus âgée dans la série, sinon, du propre aveu des scénaristes, toute l'équipe aurait fini en prison. Effectivement, rien n'est épargné à la gamine.

On la marie à un gars qui est taillé huit fois comme elle et ne parle pas sa langue. Qui bien sûr, la viole la première nuit. Elle n'a aucun droit, juste celui de la fermer et de convaincre son mari d'aller mener bataille à Westeros, en se laissant violer nuit après nuit. Daenerys est une princesse par le sang, mais elle subit le sort d'une femme sur trois dans notre monde, elle est une intouchable, un bout de viande...

Sauf qu'on est pas dans notre monde, qui est bien plus injuste que celui du trône de Fer. Daenerys va se rebiffer. Violemment. Intelligemment. Je peux pas vous en dire plus, vous dire si elle est gentille ou méchante. Pas de ça dans Game Of Thrones, juste votre jugement personnel qui de toute façon, ne compte pas, Martin se moque allègrement de la bienséance, comme je l'ai compris dans un gros brouillard de larmes en lisant le huitième volume de la saga, les "Noces Pourpres". Daenerys est l'incarnation du credo de Martin: tous les coups sont permis, et les plus violents seront donnés par les plus faibles.

Daenerys est le personnage féminin le plus incroyable que j'ai pu rencontrer depuis l'âge de quatre ans, depuis que j'ai lu ma première ligne. Elle pense comme un sage, agit comme un guerrier, a le magnétisme d'un dictateur, la beauté d'une icône. Mais elle ne l'a pas reçu en héritage: elle se le forge, page par page. Dans le sang et la douleur, en se défiant de quiconque lui dicterait sa conduite.

J'ai pensé à toutes les femmes de ma vie en lisant l'histoire de la petite princesse aux yeux violets: ma grand-mère paternelle, Yvonne, qui faisait des maths quand elle s'emmerdait, qui fumait trois clopes à la fois, avait un caractère de cochon, mais avait illustré à l'aquarelle ma première nouvelle fantastique. Ma grand-mère maternelle, Simone,  fille de boulanger, qui a appris à conduire à quatorze ans pour aller porter du pain aux maquisards aveyronnais pendant la guerre. Sa propre mère, Anna, qui, en voyant sa boulangerie saccagée par des officiers allemands, est allée péter un scandale monstre à la Kommandantur de Rodez, exigeant que le bordel des nazis soit nettoyé par ces même nazis, et a eu gain de cause. Ma prof de français au collège, Mme Clée, qui chérissait l'intellect et la culture, et m'a appris aussi bien à affiner mon écriture qu'à blaster verbalement ceux de mes petits copains qui n'aimaient pas les rêveuses à lunettes.  Danielle, ma propre mère,  bien sûr. Elle a contribué à créer l'éducation spécialisée à Toulouse, ses vinyles de Led Zep et sa guitare, elle me les a légués à treize ans, et avec, tout un tas de petits trucs pour slalomer dans cette vie, à commencer par l'humour, alors que pour tous les machos de la terre, ça serait bien le dernier truc à apprendre à une femme.


Voilà pourquoi j'aime Game Of Thrones. Parce qu'à chaque page, j'y retrouve une leçon de ma propre vie, j'ai déjà croisé chacun de ses personnages dans le monde réel, les salopards, les intrigants, les héros. C'est beaucoup plus qu'un livre, c'est une expérience troublante, de celles dont on ne sort pas indemne, de celles qui font se dire: si demain je perdais tout, il me restera toujours la rage. Et je pourrai tout reconstruire et mieux encore. Pour cela, il faut abandonner son innocence. Les vainqueurs le font tous, dans Game Of Thrones. Je vous dirai dans soixante ans si dans notre monde, c'est aussi comme ça qu'il faut faire...
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo, beau texte. Lecteur d'AGOT et d'Herbert je n'avais jamais fait le parallèle entre les deux oeuvres, trompé par la (fausse) césure SF/Fantasy. Bien vu. ;)