samedi 16 juin 2012

Parce qu'il le faut.

J'ai beaucoup de mal avec les phrases toutes faites. Le silence ne me dérange jamais, il est souvent préférable à un remplissage vain. Dur de ne pas juger, donc, les inepties qu'on entend lors de périodes difficiles, quand seul le silence pourrait être un vrai signe d'émotion.

Je ne supporte pas qu'on me dise que mon grand-père ne souffre plus, que c'est mieux comme ça, qu'il a retrouvé d'autres chers disparus, que bla que bla que bla.

J'ai eu le temps d'y penser, depuis quelques jours. Je pensais vivre un mois entier complètement déglingo, de suractivité, micros, fiestas et bon bordel, je l'ai vécu, oui finalement. Mais mon grand-père est mort à la fin de cette course. Et quelque chose s'est écroulé en moi.

Le pire truc que je puisse entendre en ce moment, c'est "tu sais, à son âge, c'est normal". J'aimerais être d'accord à cent pour cent. J'aimerais que mon côté Scully se manifeste, là, maintenant, pour m'apaiser et me dire que oui, un bonhomme de 94 ans, c'était ça, son prochain voyage, rien d'autre.

Mais je ne peux juste pas l'admettre, pour une fois, je renonce à la logique et à l'anesthésiant. Je n'ai pas perdu un vieux monsieur quelconque, j'ai perdu quelqu'un que j'aimais. Que j'aimais de tout mon coeur, et qui me le rendait bien, sans conditions, depuis l'instant où je suis née, comme peu de personnes l'ont fait pour moi de toute ma vie. Il n'y a rien de logique à ça. Rien de juste. Rien ne légitimise le vide que je ressens, comme si mon coeur était en Lego et que soudain, une pièce du milieu manquait. La structure tient bon, garde la même forme. Mais elle est altérée.

Mon grand-père était le dernier de mes quatre aïeuls. Je n'ai pas connu mon grand-père paternel, et assez peu la mère de mon père. Mais du côté de ma mère, Papy et Mamie ont été mes seconds parents. Je vous en ai déjà parlé, précédemment, de ma mamie cuisinière et courageuse, mon grand-père maternel était quand à lui un véritable roc. Si je n'avais pas été sa petite-fille, il m'aurait bien trop impressionnée.

Face à la mort, il est essentiel de respecter certains rituels, sociaux, religieux, spirituels, plutôt, je préfère largement ce terme-là. J'en ai vécus, des enterrements, des messes, des têtes baissées et des petits gâteaux secs. Là, en disant au revoir à mon lion de grand-père, je me suis rendue compte, que définitivement, j'étais une sale païenne.

Il me manque plein de choses à savoir sur lui. Mais je sais, du fond de mon cœur, qu'une messe et un caveau sont à l'opposé de ce que j'aurais voulu lui offrir pour le célébrer une dernière fois. Mon grand-père a eu une femme et cinq enfants. Il a résisté, pendant la deuxième guerre mondiale. Il a tenu une entreprise familiale pendant trente ans, bourlingué sur je ne sais combien de continents, eu des amis qui l'ont accompagné jusqu'à son dernier souffle. Quand les gamins de Toulouse faisaient la queue à la balançoire du jardin des Plantes, il y en avait une pour moi et mon cousin plus âgé, que mon grand-père avait installée dans son jardin, avec un trapèze, et des poules à aller emmerder, des œufs à leur chiper, un potager immense, un grenier plein des livres de ma mère et de ses frères et sœurs. Et un vélo.

Longtemps je suis restée sur mon petit vélo bleu, à stabilisateurs, trop trouillarde pour oser les enlever, des fois qu'un gadin fasse plus mal qu'une fin de livre de Roald Dahl. Longtemps j'ai fait le tour de l'immense maison de mes grands-parents en Aveyron, sur ce vélo bleu qui très vite, a commencé à devenir trop petit pour moi. Mes genoux touchaient le guidon quand je pédalais. Un jour, à sept ans, j'ai fini par me secouer les tripes un bon coup, et j'ai pris le vieux vélo Renault rouge qui rouillait d'ennui au fond du garage. Et putain oui il y en a eu des gadins. Des beaux. Je dévalais la pente douce le long de la maison, jusqu'au potager, blême de trouille, en m'interdisant de penser une seconde de plus au confort menteur du vélo bleu de bébé. Les étés ont filé, doucement, toujours torrides. Faire du vélo est devenu aussi facile que de respirer. Je prenais des centimètres tous les quarts d'heure, le poulailler me semblait plus petit, les poules moins effrayantes, le jardin moins gigantesque. Seuls, dans ce décor que je croyais immuable, mes grands-parents ne changeaient pas.

C'est dans leur grenier que j'ai découvert la vieille guitare acoustique de ma mère, l'été de mes treize ans. Il restait deux cordes dessus, à peine de quoi sortir une ligne de basse de Big Soul, et c'est ce que j'ai fait. C'est sous l’œil de mon grand-père que j'ai joué mes premières notes, sous la véranda de la maison, vivant devant lui le début du tsunami d'émotions, de rencontres, de claques odieuses et de bonheurs fous qui ont composé ma vie dès ce moment-là.

Papy, avant que tu t'en ailles, j'étais à Montauban pour couvrir Alors Chante. J'écoutais France Inter quand j'étais gamine, avec mes parents, moi aussi avec mamie et toi. J'étais avec elle à la cuisine, on écoutait les infos, le jeu des mille francs, j'avais déjà la langue bien pendue à l'époque, et tu rigolais toujours en disant "Toi tu pourrais faire ça, parler à la radio, Mistinguett".
Avant que tu t'en ailles, j'étais au Zguen Fest, en cuisine pendant quatre jours, pensant à Mamie et ses soixante couverts quotidiens, à toi et à toutes ces fois où c'était moi qui avais surveillé la soupe, séparé le blanc du jaune, fait un infâme gâteau au yaourt que tu mangeais de bon coeur, à vous deux avec qui je suis devenue tchapaïre sans regret.
Avant que tu t'en ailles, j'ai été non-stop entre deux hôtels, deux canapés, des lessives en speed, des nuits de trois heures, des bornes par centaines, et je me suis souvenue que les moments de calme absolu de ma courte vie, je les ai vécus chez toi, pendant ces étés de plomb, mais tellement silencieux et doux.

Papy, j'ai hyper mal au cœur que tu sois parti. Tu étais toute mon enfance. L'une des seules personnes à qui je n'avais rien à prouver pour être aimée tendrement. Je ne sais pas avec quoi combler le trou béant que tu laisses en moi aujourd'hui. Peut-être qu'il va rester comme ça. Un bout de rien, de silence, justement, pour pondérer toutes ces fois où ma raison voudrait parler et où mon cœur lui coupe la parole.

 Tu étais un homme pudique, et fier, alors on va faire comme ça. Je te garde en décidant de conserver ce calme en moi, face à la vie. Parce que c'était le tien.
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1 commentaire:

Babidji a dit…

sur ce coup tu m'as mis les larmes aux yeux ... je vais être honnête car ça a remué bcp de choses ... effectivement la mort est indomptable et qu'un âge avancé ne peut-être d'aucune consolation ... c'est comme ça ! faire son deuil ça ne veut rien dire ... pr ma part j'ai compris que ça allait mieux le jour où j'ai commencé à penser à mon père avec le sourire et plus les larmes aux yeux ... mais rien ne comblera le fait qu'il n'ait jamais connu mes filles, qu'il ne partagera aucun repas de noël ni d'anniversaire et qu'il sera encore moins là à mon mariage dans qques mois. Mon Homme a perdu ses 2 parents très très jeunes et sans dec je ne sais pas comment il a réussi à gérer ça sans sombrer ...
Enfin pour en revenir à ton grd-père je te rejoins sur le fait que c'est d'autant plus dur que ça nous ramène à notre enfance qui s'envole un peu plus. Paradoxalement j'ai perdu ma grd-mère 9 mois après mon père (qui lui etait malade dps longtemps) du jour au lendemain et le choc a été bien plus grd ! peut-être parce que je n'y étais pas préparée (car oui il ne faut pas se voiler la face quand qqun est très malade on s'y prépare malgré tout) et que ma mamie c'est avec elle que j'ai passé tous mes mardis soirs et mercredis à visiter paris, ses musées ou aller au ciné, et ts les mois d'août dans sa maison de camapgne avec mon vélo jaune ;-)))