mercredi 11 juillet 2012

Dirty Dancing


La crasse est passionnante. Lasse de devoir gérer celle de mon appart qui rafle toute la pollution de St Aubin, j’œuvre à la dégommer avant de partir de là pour toujours. C'est cool, d'arriver à tenir les promesses qu'on se fait, comme celle de ne pas passer le cap de la trentaine dans un endroit qu'on n'aime pas.

Pourtant j'y ai vécu de belles choses, dans ce t1 bis au loyer exorbitant. Des teufs qui étaient, compte tenu de la surface habitable du truc, aussi bondées que celle du Projet X. Quelques bonne poignées de minutes accrochée au lavabo, gémissant "plus jamais le chien fou du Petit London, plus jamaaaaaaaais". La montée de flip avant le premier set Opiumettes, et la rédaction du journal de la tournée. Le hurlement de joie et Rancid au volume maximum toutes fenêtres ouvertes en plein mois de novembre, quand j'ai reçu le coup de fil qui me disait que j'avais décroché mon premier contrat à Radio France. Quelques histoires forcément, d'amour ou d'absurdité, parfois j'aurais voulu pousser les meubles pour danser le tango, parfois j'étais bien contente d'avoir trois verrous sur la porte.

Mon premier appart toute seule... et la crasse, toujours présente. Lutter contre elle, qui s'infiltre par les fenêtres usées, le bas de porte, ces vieux murs oppressants, le plancher en pente, roulis marin à domicile et écoeurement progressif. Je l'ai fuie de nombreuses fois, cette saleté domestique. Elle n'est drôle qu'ailleurs, sous le soleil d'un festival à carburer pendant une semaine, collée au t-shirt porté dans le camion en revenant d'une date. Là où je la préfère, c'est quand elle choque le puritain, en servant de gangue a des diamants de subculture tels que ceux dont j'aimerais vous parler cette nuit.

Difficile d'être passé à côté de Die Antwoord ces derniers mois, mais parler d'eux me semble indispensable après être tombée sur cette info ce soir: pour vous resituer le truc, les membres de Die Antwoord proposent une zique oscillant entre la pire boîte de Lozère et des lyrics explosant violemment la bienséance, l'exclusion sociale, la morale, la circoncision, la famille aussi, Ninja décrivant la conception de sa petite fille comme suit: "Yolandi shows me twostripes on the fucking piss test. Oh fuck, broke ass Ninja gonna be a daddy." Même Eminem n'aurait pas osé.

 Ils se composent un look de débiles consanguins, sous leurs tatouages fait au Bic, se cachent des cerveaux, et des esthètes. Pour résumer leur style, nommé "Zef", Yo-Landi Vi$$er dit que "Zef is like, you're poor, but you got style". Ayant fièrement porté la même coupe de cheveux qu'elle, avec Melle Coeur, je ne peux que confirmer. A l'époque, nous mangions peu et mal, mais nous étions fabuleuses.

Impliqués dans le monde musical et créatif sud-africain depuis des années, Die Antwoord met le paquet pour exploser depuis 2008 et aurait dû connaître un tournant incroyable dans sa carrière en novembre dernier: après s'être vus offrir un million de dols par Interscope, ils se sont entendus dire que le label allait s'impliquer dans leur processus créatif et les formater sur le modèle LMFAO ou que sais-je... réponse du tac au tac: "Fok Julle Naaiers". Allez vous faire mettre.

Jusqu'à ce soir, j'étais amusée mais circonspecte face à Die Antwoord, comme j'ai pu l'être il y a quelques années face à, genre, Chloé Sevigny, livrant une performance d'un courage rare dans Kids de Larry Clark, et ne faisant parler d'elle que pour ses fringues haute couture, désormais, rattrapée par les paillettes, adoubée par les hispters comme copine idéale alors qu'aucun d'entre eux ne l'aurait touchée époque Kids de peur de graisser les verres de leur Ray-Bans. Revenons à nos Sud-Africains. J'essaie de m'imaginer avoir la même intégrité, avec d'un côté, mon art dans la balance, et si je suis aussi réfléchie qu'eux, jamais, au grand jamais je n'ose appeller ça de l'art. J'appelle ça mon bordel, ma crasse. Ce n'est rien. Ce n'est que moi et ce que je veux bien en montrer.

Sur l'autre plateau de cette balance, un putain de million de dollars. La fin des fouilles de jeans en fin de mois pour trouver deux euros, la fin des noeuds au ventre en recevant mes relevés de banque.

Et là je me dis que si on est prêt à payer aussi cher pour avoir le droit de coller le nez dans mes affaires et ma crasse, j'ai deux options. Soit j'encaisse le chèque et je me laisse vampiriser, peut-être pas voler mon âme, mais m'asperger d'un parfum qui vire sur moi, au minimum. Soit je comprends que je suis en train de me faire prendre pour un pauvre villageois à qui on achète son terrain contre deux cartouches de cigarettes parce qu'il y a du pétrole en dessous.

Die Antwoord a posé un acte quasi terroriste dans l'histoire de la musique, de l'Afrique du Sud même, une terre riche en ressources, volée aux indigènes par les blancs, craquelée par l'apartheid, le territorial, le quotidien, cette tentative de propreté via la séparation des races, traînée dans la poussière par Mandela, combattue dans les bars par Johnny Clegg au début de sa carrière, et définitivement ruinée par Die Antwoord, qui étend le combat au-delà du clivage Blancs-Noirs en disant aux colons d'Interscope de se la mettre sur l'oreille.
Leurs clips sont fantastiques de bêtise et de beauté,  la beauté dérangeante du travail de Roger Ballen sur I Fink U Freeky, la connerie totale et les cascades hallucinantes de Terence Neale sur Baby's on Fire, y voir les écouteurs à 200 dols de Dr Dre s'y faire éclater à coups de galets, y voir les bombasses danseuses habituelles remplacée par des meufs normales ou des petites filles, pour moi qui rigole bien des richards et du cachemire, qui m'habille chez Tati volontairement, et qui croit encore et toujours que c'est la marge qui tient la page, que les gueules cassées, les freaks, sont la vraie richesse de ce monde,  Die Antwoord me fait chaud au coeur.

Les mômes se roulent dans la fange quand on ne les surveille pas, ils dessinent dans la poussière, mangent un goûter même tombé par terre et se foutent pas mal, quand ils font de la peinture, de faire un truc joli ou surtout marchandable: rappellez-vous de vos éclatades de couleur quand vous étiez des gosses, elles étaient sans doute bien plus sincères et belles que ce que vous feriez aujourd'hui, avec votre esprit d'adulte qui doit payer des factures. Dur dur, mais pas irréversible. Lâchez-vous de temps à autre. Où il y a de la crasse, c'est qu'il y a de la vie.
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