dimanche 19 août 2012

Double X

L'été nous est tombés dessus comme un relou en after. Ce moment où tu passes d'une stase tranquille, pétillante, à la torpeur, l'ennui profond, et l'envie de ventiler l'importun.
Je suis présentement immobilisée dans mon fauteuil, un sac de glace sur le genou, histoire de bien démarrer les vacances. Le connard s'est de nouveau déglingué après une session déménagement corsée. Ca m'apprendra à être trop orgueilleuse et à chouiner pour qu'on m'aide mais trop tard, auprès de bien trop peu de gens.

Ca fait partie de ces idioties qu'on fait en tant qu'aspirante amazone: se surestimer, et surtout, se tromper de combat. J'ai un mal fou à demander de l'aide aux autres. Pas que je m'estime géniale, mais j'ai juste pas envie de leur faire perdre leur temps, des fois que j'arrive toute seule à finir un taf, bouger une armoire normande ou me réparer un os. C'est complètement con et je travaille là-dessus. Sur cette impulsion qui me fait me dire "ah tiens, Wonder Woman, tu t'es pas encore confrontée à ce problème-là, vas-y, montre ce que tu sais faire. ET NON TU N'AS BESOIN DE PERSONNE, TU POSES CE TÉLÉPHONE". Rajouter quelques claquements de fouets et des trompettes romaines, et on y est.

Je voue depuis toujours un mépris sans bornes aux nanas indolentes. Les Sévigné, celles qui trouvaient si joli de ramasser quelques gerbes de blés lors de leurs promenades, pour imiter les paysans ahanant leur race dans les champs de la France de Louis XIV. Les merveilleuses, sortes de hipsters femelles post-Terreur bannissant le "r" des mots par mépris de la Révolution, et n'ayant marqué l'histoire de la féminité que par leur look inspiré des nymphes (alors enlevez-moi de suite ces stupides sandalettes-jupon-moue boudeuse-flou Instagram, vous n'avez rien inventé, les Marie-Charlottes). La passivité féminine me donne des crises d'urticaire... en même temps qu'elle me fascine, bien entendu. Cette inertie n'existerait pas sans un support pour laisser rouler toute cette chair pâle et docile: l'énergie masculine. J'aimerais vraiment comprendre ce qui se passe dans la tronche d'un couple à l'ancienne, lui buriné rugueux gourdin chasseur, elle douceur origami rire perlé abonnement à Côté Sud. J'aimerais comprendre pourquoi je peux penser porter une commode toute seule, alors que des tas de meufs que je prends de haut, savent parfaitement comment demander aux hommes de se bousiller les genoux à leur place. Du coup je les prends moins de haut. Assise sur mon fauteuil avec cette glace fondue sur les cannes.

Forcée de glander, je lis. Je lis sans ça, mais là au moins je me concentre et m'ouvre d'autres horizons que ceux du Trône de Fer. Et il m'est tombé sous la main une bombinette signée Dorothy Parker, le genre de cadeau qu'on glisse dans la pile à un mariage où on n'avait pas envie d'aller. C'est "La vie à deux". Dorothy Parker l'a bien connue, moultes fois, entre deux articles cinglants pour le New Yorker. Imaginez Miss Marple, la charmante et abstinente vieille détective, qui garderait sa profonde connaissance du genre humain pour parler d'infidélités, de gâchages amoureux et d'attente près du téléphone en petite culotte. C'est ça, "La Vie à Deux".  J'y ai retrouvé tous les couples en carton de mon entourage, les jeunes, les vieux, la lassitude, l'absurdité et les assiettes brisées.
Parker est vraiment atomique parce qu'elle est en fait pleine d'indulgence pour les gens qu'elle semble dégommer. Elle a fini sa vie seule avec une bouteille et un chien dans une chambre d'hôtel, comme punie d'avoir osé avancer l’hypothèse que le mariage était moins le début de la vraie vie que la fin des haricots. Grâce te soit rendue, Dorothy Parker, toi qui a voulu éveiller un peu les consciences, très fort, et très tôt. J'ai ri parce que je me suis totalement retrouvée dans tes descriptions les plus acerbes...

Il ya  quelques jours, on savourait une petite cuite avec mes parents et leurs amis (tous nés post-Terreur mais encore verts), et au bout de deux-trois limoncelli, j'ai été en mesure de leur expliquer ce que je voulais d'un mec: qu'il soit mon égal. Qu'il s'aime autant que je m'aime, qu'il ne me prenne jamais pour son infirmière, sa maman, son souffre-douleur, mais pour sa co-équipière. Ne pas avoir besoin de quelqu'un, juste envie, que ça change rien à ma vie, que sans mec il me reste les clés de mon appart et un compte en banque à mon nom, et ma vie, et mes passions, et moi moi moi moi.

Puisque avant que je trouve l'étincelle de ma vie devant un micro, j'investissais beaucoup de temps et de talent à faire tomber les mecs amoureux de moi. J'ai cartonné en mes jeunes années, une vraie snipeuse.  Et un jour je me suis rendue compte que je ne m'étais encore jamais vraiment occupée de moi et de ce que je voulais faire de ma vie. Là, tout a changé. D'amoureux transis, les mecs dans ma vie sont devenus... de parfaits reflets de ce que j'étais: bouillonnants d'énergie, de créativité, de sociabilité et totalement égoïstes. Plus je m'occupais de moi, moins les hommes de ma vie semblaient désireux de vouloir être prévenants et tendres. Il fallait que je les soigne, que je les sauve, que je les attende, que je les comprenne, que je les pardonne, que je la ferme... que je maigrisse... que je les laisse, au final, tout me demander sauf d'être heureuse avec eux, tranquille, et que je me mette de côté, en sourdine. Donc voilà pourquoi aujourd'hui je voulais mon égal, ni plus ni moins. Comme une pub Kooples mais dans la tête et les tripes. J'ai expliqué tout ça au conseil des anciens, un beau soir d'été autour de la plancha. A mon grand dam, ils ont tous eu un sourire attendri, tous. et m'ont dit "oui oui. Tu verras bien plus tard va. Tu changes, là. Et tes besoins vont changer aussi."

Je me suis splittée en deux. Celle qui va avoir trente ans en novembre hurlait intérieurement "mais on EST plus tard, filez-moi enfin la recette, grouillez-vous, c'est moi qui paye votre retraite!!". Celle qui garde son sang-froid dans des artères de vingt-neuf ans et demi n'a pas posé plus de questions, et a commencé à observer les femmes autour d'elle. Celles qui ont des mecs, celles qui sont dans les clous, la norme. Celles que je crois différentes de moi...

Hasard, synchronicité, sortait quelques temps après le reportage de Sofie Peeters sur le harcèlement de rue. Et un énorme coming-out s'en est suivi. Qui m'a calmée, sévèrement calmée. Il révélait que toutes les filles dont la mollesse, la paresse, la nunucherie me gonflent, subissaient au quotidien ces violences banalisées .Mais que la majorité d'entre elles baissaient la tête, étaient insultées proportionnellement à leur aspect fragile et doux. Là j'ai compris que j'avais de la chance. On me fait rarement chier depuis que j'ai appris à relever le menton, à assumer mes seins et à être aussi vilaine que le gars qui prétend les toucher sans permission. Je n'ai jamais eu peur de coller des gifles, de montrer mes canines, mon majeur et d'atomiser verbalement tout aspirant maquignon croisé depuis le début de ma puberté. J'ai de la chance d'être comme ça. La musique que j'écoute y a fait pour beaucoup. Dans un pogo, on fait pas la bergère en porcelaine et on ne parle pas de quotas, et si on y va en robe à fleurs, personne n'a rien à dire. Mes copains d'Opium du Peuple me subissent dans le camion, à chaque lecture de "Fast Lean and Frightening" de L7. C'est en les écoutant, après les avoir découvertes sur la BO de Tank Girl, que je me suis faite ma petite recette perso de féminité au napalm. Rebecca, son soutif en ogives et son tank, son intelligence au laser surtout, et les L7 derrière qui balançaient "Shove" et racontaient, en gros, le déroulé typique d'une de mes journées de fille libre et seule, ça m'a fait raccourcir mes robes et délier encore plus ma langue bien pendue.

    Le reportage parlait donc de ces remarques  qu'on se prend toutes dès qu'on sort, deux minutes, seules. Hey charmante, hey salope, t'as un numéro, un petit sourire? jolis nichons, oh je peux te parler? Il ne décrivait pas les glaçons dans les veines quand une voiture se met à rouler au ralenti à côté de nous la nuit. Ou quand un mec déjà pressant nous bloque soudain le passage avec son bras. Les filles savent. Les mecs bien, ne peuvent pas se douter. Les connards ne vont pas tous jusque là, mais peuvent être aussi atroces de façon plus banalisée. J'ai juste rigolé quand on taxé le film de Peeters de raciste. C'est la partie visible de l'iceberg, ce film, parce que les agressions sexistes que nous subissons le plus souvent viennent plutôt de gens bien insérés dans notre quotidien, bien sûrs de leur bon droit sur nous et de la toute-puissance de leurs petites couilles bien blanches.

Le reportage ne parlait pas de cette pression que nous subissons en fait TOUT le temps, PARTOUT, jusqu'à la fin de nos vies. Je ne peux pas partir en vacances cette année: pour les célibataires, ça coûte trop cher. J'ai récemment entendu un gros con parler de ce qu'il entendait à l'antenne: mes collègues mâles, sont "de super animateurs", moi "j'ai une bonne voix bien chaude". Beaucoup de filles autour de moi tortillent face à une attaque sur leur physique ou du machisme au boulot. Beaucoup de filles se planquent derrière leur mec en partie pour se protéger de tous les autres. Beaucoup de filles, enfin, sont intimement convaincues qu'elles sont différentes des mecs. Et là on en vient à un deuxième harcèlement quotidien: l'image de la femme en 2012.

Nous aimons pour la grande majorité, avoir de jolies fringues, nous maquiller et imaginer comment serons nos enfants. Oui. C'est 5% de ce que nous sommes, et la presse féminine, les publicitaires, l'exploitent à 99%, donnent une image tronquée de la femme pour attiser que ses instincts de consommatrice, lui faire croire qu'elle n'est bonne qu'à soupirer devant des crèmes de jour aux algues et l'enfermer dans un stéréotype de personne inhibée, qui devrait "oser être soi", photos de Kim Kardashian à l'appui, et se voir offrir des cahiers de vacances spécial "test en amoureux" et crumbles de chèvre chaud. Et d'un numéro à l'autre, on se rend compte de la sournoiserie incroyable des articles proposés, contradictoires, manipulateurs, à rendre Héra en personne zinzin.

  Quand nous avons le culot d'aimer notre travail, nous sommes décrites telles des harpies assoiffées de pouvoir malmenant les parquets avec nos dents proéminentes et nos talons aiguilles. Quand nous restons à la maison nous occuper de nos enfants, nous sommes des parasites angoissant les nullipares entre deux sessions tire-lait. Il nous faut trouver un juste milieu entre ces deux extrêmes définis, pour la plupart, tard le soir dans une rédaction enfumée pleine de quinquas mâles, ceux-là même qui décident aussi que les talons mode en 2013 seront plus haut qu'en 2012 histoire de nous empêcher de courir plus vite qu'eux. Le juste milieu donc? Il ressemble à un palais des glaces. Nous sommes trop grosses, trop minces, mais c'est la tendance/ca prouve la femme de caractère/de contrôle/de zen attitude (barrer la mention inutile selon le plus gros chèque de cabinet de tendances mode reçu). Chaque magazine feuilleté juste pour se détendre un peu, innocemment, à une terrasse, nous renvoie à chaque page à notre cauchemar de ne jamais rentrer dans la norme. Certains de ces magazines comportent des pages d'actus, dix fois moins nombreuses que celles du shooting d'une petite Bulgare de quinze ans sur une plage, affublée de fringues chimériques à "prix sur demande" (sous-titrage: tu le veux le maillot python? sors ton cul de cette terrasse et va t'épouser un armateur, ou retourne bosser à être moins payée qu'un mec, tu auras enfin une raison de te battre). Moi j'aime Causette et Fluide Glacial, et encore, pas les spécial nanas de Fluide, déghettoïsez-nous les mecs et arrêtez de tuer des arbres pour ça, de toute façon Edika me fait dix mille fois plus marrer que Diglee, alors pitié quoi.


Le seul aspect de ma vie sur lequel aucun bovin n'est jamais, au grand jamais venu m'agresser, c'est dingue à dire: c'est le plus impudique et trash, c'est les Opiumettes. Je ne compte plus le nombres de paroles masculines bienveillantes, amusées, le nombre de regards bien bouillants mais pas vicieux, que me rapporte un concert. Le monde à l'envers? Non, pas tant que ça. Sur scène, je lâche prise. Et aucun tordu ne peut m'atteindre après avoir ressenti ça. Il me devient bien égal d'être en solo, imparfaite, pas encore maman ou mariée, pas protégée, je n'ai pas peur qu'on me saute dessus, de ne pas savoir me défendre. Toutes ces peurs s'envolent, preuve qu'elles ne font pas partie de moi. Qu'elles ne devraient faire partie d'aucune femme.

Sur les dernières dates Opium Du Peuple, j'ai dû rester à Toulouse, pour le travail. Ils me manquaient tous, et j'ai reçu leurs textos alors que j'étais en train de mater un film hyper touchant: c'est "Tournée", de Mathieu Amalric. Voilà un homme qui me décevrait beaucoup si jamais j'apprenais qu'en privé, c'est un sale muffle. Parce que son film est une lettre d'amour aux femmes, un amour que je ne peux pas croire feint. Amalric nous montre des femmes merveilleusement drôles et gonflées, les filles du cabaret New Burlesque. Grâce à elles, on oublie le débat sur le féminisme: le combat est vain face à des forces de la nature telles qu'elles. Grosses, maigres, vaillantes, timides, sous l’œil énamouré de la caméra d'Amalric, elles sont nous. Elles ne se contentent pas de s'exhiber en demandant qu'on les aime sans conditions comme elles sont: elles donnent. Non-stop. Leur imagination est stupéfiante. Elles allient strip-tease et film d'horreur, dansent le lac des Cygnes dans des ballons géants, dénoncent l'impérialisme américain avec tant de virulence qu'on en oublie qu'elle le font en string à paillettes, elles jouent de sales blagues dans les couloirs de leurs hôtels, elles rigolent d'un rien, s'énervent vite et peu, bref, jamais au grand jamais pendant deux heures de film, on ne se dit "mais... ce ne sont que des gonzesses, elle vont bien craquer à un moment, un homme va arriver et calmer le jeu". Le mythe du sauveur, du prince charmant en prend un coup. Et c'est tant mieux pour les hommes, non?

C'est l'un des pires hommes de ce monde, Vladimir Poutine à qui les Pussy Riot ont adressé un pied de nez. Il a mollement protesté contre ses propres hauts fonctionnaires à l'énoncé du verdict, hier, condamnant Nadejda Tolokonnikova, Maria Alekhina et Ekaterina Samutsevich à deux ans de prison pour avoir chanté une prière anti-Poutine dans une église de Moscou. Elles vont passer deux ans dans un bloc de sécurité, loin de leurs enfants, obligées de porter des jupes même par -40°. Leurs plus fervents détracteurs, liés à l’église Orthodoxe, le sont aussi aux mouvements d'extrême-droite russe. Elles vont peut-être mourir en prison, de faim et de froid. Voilà qui était bien mal joué. Car si la justice russe les avait laissé filer, peut-être aurait-il été possible à Poutine de rester encore un peu nébuleux sur sa politique obscurantiste et fanatique, aux yeux de ceux qui ne savent pas encore ce qu'il a fait de la Russie. Je ne vois pas la condamnation des Pussy Riot comme un acte anti-féministe, je le vois comme un acte de barbarie totale. Le jour du verdict, soudain, un single inédit de Pussy Riot a été joué très fort dans la rue en face du tribunal. Les filles auraient rigolé sans se cacher, en entendant ça, alors même qu'elles apprenaient leur condamnation. Leur histoire me désespère, je ne sais pas quoi faire pour elles. A part suivre leur exemple, me souvenir que le courage n'a pas de sexe, et rester entière...

Entière, c'est ça le mot que je cherchais depuis un moment.
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